jeudi 17 mars 2011

Au Bahreïn, l'étrange rencontre entre Monroe et Brezhnev

A la suite du déploiement du CCG au Bahreïn, l'Iran chiite s'est empressé de réagir et de condamner cette incursion. Aucune mention du CCG, juste de l'Arabie Saoudite. De son côté, l'Arabie Saoudite sunnite brandit le spectre de l'opposition sectaire entre Sunnites et Chiites et le CCG prévient contre toute ingérence - lire l'Iran. Dès lors, on se retrouve dans le cas des puissances régionales du Golfe qui s'opposent indirectement au Bahreïn. Du moins, est-ce la manière dont les événements sont présentés. Cette façon d'évoquer un affrontement indirect n'est nullement nouvelle. Au Yémen en 2009, de nombreuses analyses concluaient à une opposition irano-saoudienne. A l'époque déjà, cet argument semblait au moins extrêmement exagéré, voire une vue de l'esprit. Il en est de même aujourd'hui au Bahreïn.

Il est vrai que l'Arabie Saoudite est inquiète de la situation au Bahreïn et craint que les révoltes se propagent dans les zones chiites du pays, bien que les révoltes actuelles dans le monde arabe n'aient aucun caractère religieux. Au Bahreïn, le fait que la grande majorité des manifestants soient chiites est lié à leur statut inférieur au sein de la société ; il n'y a pas de revendications religieuses. C'était déjà le cas au Yémen. Il n'en reste pas moins qu'il est réducteur de voir l'intervention des troupes sous mandat du CCG sous le prisme d'une peur sunnite de voir le Bahreïn tomber aux mains des Chiites et de fait aux mains des Iraniens. Néanmoins, les pays sunnites savent que cette rhétorique parvient encore à convaincre. Il faut noter que les Bahreïnis chiites n'appellent pas à une unification avec l'Iran, ce que Téhéran accepterait probablement d'ailleurs.


En effet, comme je l'ai déjà écrit sur ce blog, le croissant chiite est un mythe savamment entretenu. Les Chiites ne sont nullement unis et les Chiites du Bahreïn n'ont que peu à voir avec leurs voisins iraniens et ont toujours tenu à l'écart Téhéran de toute influence. Il en va de même aujourd'hui.

Peut-on néanmoins envisager un affrontement entre les deux puissances au regard des récentes menaces ? C'est extrêmement peu probable. L'Iran est un pays dont la stratégie de communication est une des meilleures qui existent. Il est tout à fait dans leur intérêt de faire jouer la carte du conflit sunnite-chiite, car cela donne l'illusion d'une puissance influente, ce qu'elle est, mais pas au point qu'on l'entend souvent. Téhéran va donc continuer à maintenir une rhétorique agressive, mais comme le précise justement Ray Takeyh, il ne faut pas s'attendre à un déploiement. En outre, l'Iran sait très bien qu'en soutenant les manifestants, elle est bien perçue. Et surtout, Téhéran sait pertinemment que la menace d'un conflit régional dominera largement les Unes de presse, leur laissant une marge de manœuvre encore plus grande pour enrayer les révoltes iraniennes.

L'angle beaucoup plus préoccupant à considérer dans le déploiement du CCG est le fait que c'est la première fois que l'organisation intervient. En se mobilisant contre des manifestants largement pacifiques dont la revendication principale tient à l'installation de réformes politiques et démocratiques - certes certains appellent au renversement de la monarchie, mais ils sont minoritaires - les pays du Golfe montrent qu'ils n'hésiteront pas à intervenir pour conserver les régimes en place. C'est en cela d'ailleurs que je trouve l'argument de certains auteurs limité, car certes l'Arabie Saoudite est le poids lourd, mais tous les autres Etats du CCG sont en total accord sur cette intervention. Comme je le précisais hier, la différence de définition des "menaces" est ici patente.

Par ailleurs, si ce déploiement sert officiellement à calmer et résorber la situation, il est fort probable qu'elle est l'effet inverse. Les violences ne cessent de s'intensifier et persévérer dans la rhétorique d'une opposition chiite contre sunnites ne fait que renforcer les positions idéologiques des deux camps, mais surtout celle du régime. Comme l'explique Lucan Way de l'Université de Toronto, les régimes autoritaires les plus durables sont ceux qui bénéficient d'une idéologie qui rallie des loyalistes. De la sorte, plus la rhétorique de la lutte contre le chiisme sera entretenue par le régime bahreïni, saoudien, et, avec des intérêts différents, iranien, plus les forces de sécurité seront persuadées d'agir pour leur survie contre un ennemi qui veut sa destruction. Quand on sait que ces dernières sont majoritairement sunnites (peu importe que leurs membres soient nés dans le pays ou recrutés à l'étranger puis naturalisés) et que les Sunnites ne représentent pas plus de 30% de la population, le sens d'une mission de survie est aisé à instiller.

Ce à quoi on assiste dans le Golfe est en fait une version collective d'un étrange mélange entre les doctrines Monroe et Brezhnev. La doctrine Monroe en brandissant la menace sectaire et prévenant contre toute intervention étrangère éventuelle (lire Iran), et la doctrine Brezhnev en intervenant pour maintenir un régime en place contre des forces qui tenteraient de le mettre en péril.

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