mercredi 16 mars 2011

Le CCG part en guerre : premières observations et implications



J'ai déjà écrit ailleurs que le Conseil de Coopération du Golfe avait davantage privilégier l'aspect économique de l'organisation plutôt que l'aspect sécuritaire. Les raisons sont bien connues, la principale étant l'incapacité à se faire confiance. Une autre raison était l'impossibilité à s'accorder sur la définition des menaces. On envisageait des scénarios où le CCG pourrait se positionner en Iraq, au Yémen, contre l'Iran, mais l'éventualité de lutter contre une menace intra-étatique nous avait échappé. Le recours à la force commune "Peninsula Shield" au Bahreïn est remarquable à plusieurs égards.

* C'est la première fois que le CCG agit seul. En 1990, lors de l'invasion du Koweït par l'Iraq, le CCG était resté impuissant. En 2003, il était resté à l'écart de l'intervention, mais avait déployé des hommes à la frontière avec le Koweït pour combattre toute attaque en provenance d'Iraq, mais ils n'ont jamais été mis à l'épreuve. Ce déploiement est donc la première vraie intervention décidée par le CCG pour venir en soutien d'un de ses membres. A l'échelle internationale, c'est un fait extrêmement important. Si l'OTAN, l'UE, l'UA ont pu se déployer, elles se sont toujours efforcées de le faire dans le cadre d'un mandat de l'ONU.



* Sans mandat de l'ONU. L'UE, l'UA et l'OTAN se bornent en effet à obtenir un mandat de l'ONU pour lancer une opération. Le Kosovo est effectivement l'exception qui confirme la règle. La guerre en Iraq est différente, car l'OTAN n'avait pas été mobilisée. En outre, dans les deux cas, les interventions ont été mandatées a posteriori. L'UA est souvent intervenue en attendant les forces onusiennes, comme au Burundi. Dans le cas présent, le CCG n'a jamais cherché un mandat onusien ; mandat qu'il n'aurait pas obtenu de toute manière et qu'il n'obtiendra pas a posteriori. C'est un précédent qu'il faut mesurer à sa juste valeur. Avec le développement d'organisations régionales, telles que l'Organisation de Coopération de Shanghai et l'Organisation du Traité de Sécurité Collective, il est tout à fait envisageable que le mandat onusien ne soit plus perçu comme la valeur légale absolue pour qu'une intervention militaire soit lancée, notamment dans des cas où l'organisation en question sait que la mission qu'elle veut lancer ne recevra pas l'aval du Conseil de sécurité. 

* Contre une "menace" intra-étatique. Le recours au CCG pour cette intervention au Bahreïn me met dans une position délicate. Je suis partisan des organisations régionales et je pense que leur expansion est inévitable - je ne parle pas ici de leur efficacité. Elles ont de nombreuses vertus extrêmement prometteuses, tant sur le plan économique que politique. Le plan sécuritaire est quant à lui plus problématique. En effet, lorsque l'on prend comme exemple l'UE ou l'OTAN, la création de ces organisations s'est faite sur le principe que les menaces n'émaneraient pas de l'intérieur, mais de l'extérieur. De fait, on se retrouvait avec une communauté d'Etats prête à s'engager contre un ennemi qui l'attaque ou à intervenir hors de sa zone, lorsqu'elle a des intérêts, une responsabilité ou autre, mais toujours sous mandat du Conseil de sécurité (une fois encore le Kosovo est une exception). Le CCG pouvait sembler abonder dans le même sens, mais l'absence de réflexion profonde sur le rôle de défense collective qu'elle envisageait - en fait un mélange entre sécurité collective et défense collective - entretenait le flou à ce sujet. Il apparaît donc que la logique de l'organisation rejoigne celle de l'OCS. Déployer des troupes militaires ou policières contre des manifestants dans une très grande majorité pacifiques va à l'encontre de l'intérêt du volet de sécurité et de défense d'une organisation régionale et surtout démontre à quel point le concept de "menace" est polysémique.

* Courbettes internationales. Les Etats-Unis et l'Union Européenne ne savent comment se positionner. Catherine Ashton "a pris note" du déploiement. Les Etats-Unis et l'ONU ont appelé le CCG à agir avec retenue indiquant qu'une solution militaire n'était pas la réponse. Enjeux diplomatiques obligent, ils ne peuvent être plus critiques, car le CCG soutient l'initiative d'une zone d'exclusion aérienne en Libye et autant les pays de l'UE que les Etats-Unis tiennent à avoir un appui arabe. Ce numéro d'équilibre risque de devenir difficile à tenir. Pour le moment, le mandat des troupes est d'assurer la sécurité des infrastructures et bâtiments officiels. Néanmoins, si les forces de sécurité bahreïnies ne parviennent pas à endiguer les manifestations, il est envisageable que les troupes étrangères viennent prêter main forte aux forces de sécurité locales. Dès lors pourrait-on voir émerger des morts par balles étrangères sous mandat du CCG. Il est très important d'empêcher cette situation. Le mandat actuel est déjà relativement flou et, à ma connaissance, n'est pas explicite sur l'usage du feu. Ont-ils le droit d'utiliser leurs armes ? Uniquement en cas de légitime défense ? Qu'entend le CCG par "légitime défense" ? Y a-t-il une zone à ne pas franchir avant que les troupes ouvrent le feu ? Autant de questions qui devraient trouver une réponse, par les faits. Il est donc très important que l'ONU, l'UE et les Etats-Unis forcent le CCG à se positionner rapidement sur ce sujet et à empêcher toute expansion du mandat actuel.

Cette intervention est un précédent. La réaction internationale est donc cruciale et doit servir de modèle.  

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