vendredi 18 mars 2011

L'ONU autorise l'usage de la force en Libye : implications et questions importantes

Le Conseil de sécurité a approuvé la résolution 1973 ouvrant la porte à l'implémentation d'une zone d'exclusion aérienne (NFZ) et à des frappes ciblées. Pour la France, c'est un succès diplomatique après une difficile campagne, mais un succès mi-figue mi-raisin, car cinq grosses puissances se sont abstenues (Russie, Chine, Allemagne, Brésil et Inde). En outre, beaucoup de questions demeurent d'un point de vue opératif, mais également stratégique.

Au niveau opératif, plusieurs questions devront trouver une réponse rapidement. La première est de connaître les pays qui prendront part à l'opération de NFZ. Les informations semblent se recouper à ce sujet. La France et la Grande-Bretagne seront à la tête des opérations. Les Etats-Unis - dont l'engagement reste à clarifier -, le Canada, le Danemark et la Norvège fourniront du potentiel de frappe. Plusieurs pays européens fourniront des moyens logistiques : l'Italie avec sa base en Sicile - il semblerait qu'elle fournirait également des avions de combat -, la Grèce avec sa base à Souba et la Pologne avec des avions de transport. On peut envisager d'autres pays. De toute manière, maintenant que la résolution est passée, il semble très probable que les positions européennes s'affirment plus clairement. Catherine Ashton a déclaré que l'UE agirait dans la limite du mandat de la résolution et de ses compétences. Compétences qui devraient être clarifiées la semaine prochaine. Pour le moment, deux Etats-membres s'opposent à une intervention militaire, l'Allemagne et la République Tchèque - on parle également de la Bulgarie, de la Hongrie et de la Suède. Au niveau otanien, la Turquie a également fait savoir qu'elle ne soutenait pas cette action. Cinq de ses pays étant membres de l'OTAN, il est dès lors peu probable que l'Alliance soit impliquée directement dans les actions menées. Il semblerait que quelques pays arabes participent à l'opération, mais on ignore qui - les noms de la Jordanie, des Emirats Arabes Unis et du Qatar circulent - et avec quels moyens. Quelques analyses indiquent que la participation arabe est envisagée par certains pays. 


En outre, il n'est pas encore clair qui des Français ou des Britanniques vont établir un poste de commandement et de contrôle. Dans la lancée du traité franco-britannique, peut-on envisager un commandement commun ? Réponse dans les prochaines heures. Tout dépend également de l'engagement américain. Washington préférerait que les Européens prennent la charge.

Il semble en tout cas acquis que cette résolution ouvre la voie à des interventions allant au-delà d'une NFZ. En effet, l'article 4 autorise les Etats-membres "agissent à titre national ou dans le cadre d’organismes ou d’arrangements régionaux (...) à prendre toutes mesures nécessaires pour protéger les populations et les zones civiles menacées d’attaque en Jamahiriya arabe libyenne, y compris Benghazi". L'interprétation de cet article devra être clarifiée. Pour beaucoup, il autorise le recours à des frappes ciblées. Bien que cela soit fort probable, David Cameron ne l'a pas évoqué dans son discours devant la Chambre des Communes, peut-être pour éviter un déferlement de commentaires sur une décision dont les tenants et les aboutissants sont encore débattus dans les centres de planification. La France, quant à elle, ne cache pas son intention de lancer des frappes.

D'un point de vue stratégique, il faut s'interroger sur la finalité de ces actions. En effet, le texte de la résolution reste délibérément flou à ce sujet. Il ne fait mention que de protéger les civils et instaurer un cessez-le-feu. Est-ce l'objectif final ? Et si Qadhafi ne s'arrête pas ? Et si Qadhafi s'en va ? Et si, et si... Est-on dans le scénario de la guerre du Golfe de 1991 où l'objectif final est le retour au statu quo, mais on laisse le dirigeant en place ? La résolution est explicite quant à l'exclusion de toute force étrangère sur le sol libyen, mais cela peut-il durer si Qadhafi et ses forces ne s'arrêtent pas ? (Sans faire ici mention de la possibilité même d'avoir suffisamment de troupes, d'équipements, d'hélicoptères etc.)

J'ai commencé ce post avant le déjeuner. Je reviens et constate que le gouvernement libyen, par la voie de son ministre des Affaires étrangères et pas de Qadhafi (!), appelle à un cessez-le-feu. N'est-il pas trop tard ? La Grande-Bretagne, mais surtout la France, peuvent-elles tout arrêter ? Un sommet entre l'UE, l'Union Africaine et la Ligue Arabe aura lieu demain à Paris, mais d'ici-là, tous les préparatifs seront établis. Bien évidemment, il faut voir si le cessez-le-feu est effectivement respecté, mais que se passe-t-il s'il l'est vraiment ? Annule-t-on les frappes aériennes et la NFZ ? Les rebelles considèrent la déclaration officielle "un bluff". Logique, les forces gouvernementales ont quasiment repris tout le territoire, donc si un cessez-le-feu est maintenu, les rebelles ont perdu et Qadhafi reste en place. En même temps, si des frappes sont effectuées et une NFZ est mise en place, cela viole la résolution... Bref, la précipitation de la mobilisation pourrait mener à une situation quelque peu analogue à celle de mars 2003, où les Etats-Unis étaient tellement mobilisés que les dernières déclarations du gouvernement de Saddam Hussein n'ont absolument pas été prises en considération. Aujourd'hui, ce serait peut-être ironiquement la France qui se confronterait à l'ONU. Violer un mandat de l'ONU reste illégal.

Les prochaines heures et les prochains jours vont être cruciaux, mais surtout il faut être clair : quel est l'objectif final ?

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