mercredi 19 janvier 2011

Qui est aux commandes au Liban ?


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Le Liban semble plonger dans une grave crise politique, dont l'issue est très certaine. Comme le suggérait Emile Hokayem dans une récente tribune à Middle East Channel, le Hezbollah semble en position de force suite à la chute du gouvernement libanais. Le groupe chiite le sait et le rappelle clairement. Outre l'habile discours d'Hassan Nasrallah, le Hezbollah a manifesté pacifiquement, mardi matin, aux coins de certaines rues de Beyrouth au moment même où le Premier ministre qatari cheikh Hamad bin Jassim Bin Jaber al-Thani et le ministre turc des Affaires étrangères Ahmet Davutoglu sont en mission sur place pour démêler la situation. Toutefois, la situation politique appelle à une analyse plus mesurée, où le Hezbollah a plus de contrôle que Saad al-Hariri, mais ne peut pas composer uniquement selon ses termes.

Via le blog Beirutspring, on peut voir les coins de la capitale où des membres du Hezbollah et de ses alliés du mouvement Amal se sont rassemblés. Toutefois, un article de L'Orient-le jour rapporte des témoignages contradictoires au sujet de ces rassemblements, certains affirmant même qu'aucun rassemblement n'avait eu lieu. Il est vrai que je n'ai vu aucune photo et je ne parviens pas à trouver de vidéos. Dans tous les cas, si cette manifestation a bien eu lieu, les réminiscences des événements de mai 2008 où le Hezbollah s'était emparé, armé, des rues de la capitale sont évidentes.


Le jeu politique actuel est extrêmement complexe à comprendre et il est difficile de discerner exactement ce que le Hezbollah cherchait à obtenir en déclenchant cette énième crise politique. Cette décision a été prise à un moment opportun pour le groupe chiite. Alors que les ministres du Hezbollah démissionnaient au Liban, le Premier ministre Saad al-Hariri rencontrait le Président Barack Obama. C'était là une position bien réfléchie : le Hezbollah montrait que sa base était au Liban et indiquait qu'Hariri cherchait du soutien à l'étranger chez ses amis américains. De quoi faire passer un premier message. 
Ensuite, la décision des dix ministres du Hezbollah et du ministre indépendant sont un discrédit fort à l'encontre du Premier ministre. Si l'on peut se demander s'il fallait aller jusqu'à la confrontation sur un sujet comme le Tribunal Spécial pour le Liban - qui vient de livrer ses résultats bien que ceux-ci restent confidentiels - le fait qu'al-Hariri n'ait pas réussi à gérer la crise interne à son gouvernement l'affaiblit fortement. Pis encore, il n'a aucun réel contrôle sur l'issue de cette crise. En effet, si le Hezbollah décide de ne pas soutenir al-Hariri pour former un nouveau gouvernement, le groupe chiite peut tout à fait se tourner vers un autre candidat et s'accorder sur un gouvernement sans al-Hariri et la coalition du 14 mars. La décision finale en reviendrait à Walid Jumblatt, leader chrétien et dirigeant du Parti Socialiste Progressiste. Auparavant membre de la coalition du 14 mars, il l'a quitté l'été dernier. Il est aujourd'hui courtisé par la coalition du 14 mars et celle d'opposition du 8 mars et son choix peut être décisif. Son bloc possède 11 sièges qui sont toujours affiliés aux 71 de la majorité. Le Hezbollah et ses alliés eux sont à 57. Si Jumblatt décide de soutenir le parti chiite, le changement de majorité est opéré.

Pour autant, il est difficile de savoir où Jumblatt va poser ses valises. A de nombreuses reprises, il a demandé au gouvernement d'al-Hariri de rejeter le TSL. Néanmoins, il n'a jamais caché son soutien au Premier ministre. Certains semblent savoir que Jumblatt continuerait dans cet élan. Par ailleurs, même si Jumblatt a quitté la coalition du 14 mars, il n'a jamais rejoint celle du 8 mars. Il a toujours quelques réticences à trop se rapprocher du Hezbollah, car sa position de confrontation à l'encontre d'Israël ne joue pas en faveur de la communauté druze, très minoritaire, dont Jumblatt est issu. Et surtout, Jumblatt est probablement conscient qu'à ce stade, il est trop tard pour discréditer le TSL. Il a une reconnaissance internationale et ait soutenu par plusieurs dirigeants arabes et les résultats vont être très prochainement révélés. 


C'est donc au Hezbollah que reviendra le dernier mot en admettant que le groupe chiite soit prêt à prendre les armes pour prendre le pouvoir. Certains estiment que Nasrallah ira jusqu'à la confrontation par les armes pour défendre le Hezbollah. Il est vrai qu'en 2008, le groupe chiite y a eu recours dans la rue pour protester contre le gouvernement. Néanmoins, cette attitude pourrait aliéner une partie de la population surtout si les résultats du TSL accusent des membres du Hezbollah. Il faut bien comprendre que le parti chiite fait partie de la vie politique libanaise et n'a lancé aucun signal qui pourrait laisser penser qu'ils sont prêts à s'en retirer. A moins que Nasrallah et le Hezbollah aient l'impression de jouer leur survie - ce qui ne semble pas être le cas - on peut envisager des démonstrations de force, mais probablement pas une lutte armée. Personne n'en a intérêt. Cette complexité interne est aussi intéressante que le changement de dynamique que l'on peut constater au niveau des acteurs-clefs. 


La crise politique libanaise renforce un changement dans les acteurs de premier plan au Moyen Orient. Auparavant, la France et les Etats-Unis, pour l'Occident, et l'Arabie Saoudite auraient été les premiers à prendre à bras le corps la crise. La France va lancer un "groupe de contact" sur le Liban, mais cette initiative semble être un coup d'épée dans l'eau. Les Etats-Unis restent discrets et se prononcent plus au sujet du TSL que sur la situation politique. Ce n'est pas un signe de désintérêt, mais plus un manque de politique claire sur le sujet et une difficulté à se positionner sur l’échiquier moyen-oriental actuel. L'Arabie Saoudite avait cherché à lancer une initiative conjointe avec la Syrie, mais celle-ci a échoué et les Saoudiens se sont retirés de la médiation estimant la situation "dangereuse"

On se retrouve donc avec des déploiements diplomatiques importants en provenance du Qatar, de Syrie et de Turquie, le trio de puissances politiques émergentes dans la région. Leur rôle n'a donc rien de particulièrement surprenant. Le ministre turc des Affaires étrangères veut faire de la Turquie le "metteur d'ordre" au Moyen Orient et a déjà montré à quel point Ankara voulait s'impliquer, comme ce fut le cas pour le dossier israélo-palestinien. Sans rentrer dans les détails de l'histoire, la Syrie est très impliquée dans les affaires intérieures du Liban, notamment depuis la guerre civile déclenchée en 1975. De son côté, le Qatar est l'acteur diplomatique régional qui monte. En 2008, la diplomatie qatarie avait réuni les acteurs libanais pour signer l'accord de Doha qui présageait la fin de 18 mois de blocage politique. Néanmoins, il est à ce jour difficile de savoir qui pourra mettre un terme à cette crise politique, car les efforts diplomatiques auront du mal à influencer la donne. Au niveau, le Hezbollah est largement indépendant de l'influence iranienne. 


Aujourd'hui, il y a une opposition fondamentale entre la coalition du 14 mars et celle du 8 mars. La première reconnaîtra jusqu'au bout les résultats du TSL et la seconde continuera à la discréditer et à l'accuser de n'être qu'un outil israélien. Même si Jumblatt peut être perçu comme le point d'appui pour toute coalition à la recherche du pouvoir, il paraît peu envisageable que l'une puisse former un gouvernement sans l'autre en reconnaissant la complexité de la vie institutionnelle libanaise. Un gouvernement sans le Hezbollah et Amal et donc sans chiite n'est plus viable dans la réalités politiques actuelles. De même, un gouvernement sans al-Hariri paraît tout aussi improbable, car cela reviendrait à écarter les Sunnites du gouvernement. La seule issue est donc pour les différentes parties de se parler, ce qu'al-Hariri et le Hezbollah ne font officiellement pas pour le moment. La divulgation des résultats de l'enquête du TSL devrait de nouveau retarder toute réconciliation possible. De fait, le Liban devrait connaître une crise de long terme... une nouvelle, devrait-on dire.

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