La RAND a publié il y a peu une étude qui tombe à point nommé sur les relations entre l'Iran et l'Arabie Saoudite depuis la chute de Saddam Hussein. Pourquoi à point nommé? Parce que cette relation, cardinale dans la région, est source de nombreux débats et est plus complexe qu'on ne le pense. Les deux pays se définissent comme des leaders régionaux. L'Arabie Saoudite porte la double casquette de leader arabe et islamique, l'Iran, notamment depuis la Révolution islamique, conteste la deuxième casquette, mais aussi le leadership de la région. Ces dernières années, Téhéran a pris une place progressivement proéminente au Moyen Orient, ce qui n'est pas pour plaire aux Sunnites arabes. Encouragés par Washington dans cette direction, les pays dits "modérés" que sont l'Egypte, la Jordanie et les pays du CCG se seraient mis en coalition contre l'Iran chiite. Il semble toutefois que ce soit plus un voeu de certains pays de la région, notamment l'Egypte, et de Washington plutôt qu'un fait avéré.
Dans ce contexte, la RAND publie cette analyse d'une centaine de pages dans la volonté de repenser cette relation:
* l'idée d'un bloc arabe contre l'Iran n'est pas aussi évidente, car les pays arabes ne sont pas forcément friands d'une Arabie Saoudite toute puissante non plus.
* L'attitude de l'Arabie Saoudite à l'égard de l'Iran est marquée par un pragmatisme certain. Si l'on retrouve souvent des tactiques de rollback et de containment chez les Saoudiens, les deux pays sont amenés à s'entendre sur certains dossiers.
* Le sectarisme sunnite/chiite est à pondérer. En effet, officiellement, les deux gouvernements se retiennent de tout commentaire vertement sectaire. Cela étant, l'Arabie Saoudite n'a que mépris pour sa population chiite et l'Iran est critique à l'égard de l'Arabie Saoudite.
* Un facteur par contre correspond aux idées reçues, c'est celui de l'existence de factions politiques. En Arabie Saoudite, il y a deux écoles, celle de la confrontation avec le Prince Bandar bin Sultan et celle de la conciliation avec le Roi Abdallah.
L'objectif de l'étude est d'étudier cette relation bilatérale pour expliquer certaines évolutions régionales de ces dernières années. Plusieurs points sont conclus :
* L'Arabie Saoudite veut s'affirmer comme une force pour contrebalancer la puissance iranienne, alors que l'Iran aimerait un système où Téhéran est au centre, ce qui implique une reconnaissance par les Saoudiens de la suprématie iranienne.
* Un Irak affaibli est source de rivalités entre l'Arabie Saoudite et l'Iran. Cela était particulièrement prégnant en 2005-2006, à l'époque où les affrontements sunnites/chiites étaient intenses.
* Plutôt que d'adopter une politique de confrontation, Riyadh s'oriente sur un plus grand engagement via le CCG pour essayer de modérer le comportement iranien, notamment sur le dossier nucléaire. Cela étant, les Saoudiens jouent un double jeu en étant diplomatique via le CCG et en s'armant de manière conventionnelle pour lutter contre la force de frappe iranienne.
* Le Levant est, bien plus que l'Irak, une zone de rivalité forte entre les deux pays. En effet, jusqu'à la guerre de 2006 au Liban, l'Arabie Saoudite était perçue comme le leader régional sur le dossier israélo-palestinien. Et c'est par un groupe chiite non-arabe, le Hezbollah, que les Saoudiens se trouvaient remplacer. Cela a été le départ d'une vraie compétition pour le leadership.
Un chapitre est particulièrement intéressant, car rarement traité, sur la manière dont les pays du CCG se comportent vis-à-vis de l'Iran. Tous perçoivent l'Iran comme une menace. Ils ont tendance à surestimer la puissance militaire de Téhéran. La menace n'est pas tant directe qu'indirecte : Téhéran en tant que porte-drapeau de la cause palestinienne, soutien au Hezbollah et au Hamas, capable de mobiliser les Chiites désœuvrés et oubliés des régimes du Golfe. C'est perçu comme une remise en cause de la légitimité des régimes en place.
De plus, l'Iran renforce ses relations bilatérales avec certains membres, comme le Qatar, tout en instrumentalisant un isolement saoudien. A l'instar du Qatar, Oman bénéficie de bonnes relations avec l'Iran et est conciliant à l'égard du régime chiite. Pour Bahreïn, les relations sont fluctuantes, car Téhéran n'est pas toujours très clair sur ses intentions vis-à-vis du petit royaume, étant accusé de considérer Bahrein comme faisant partie de l'Iran. Le Koweït est le pays le plus proche de la stratégie saoudienne dans le Golfe. Les EAU ont des relations historiquement difficiles avec l'Iran en raison de différends territoriaux, mais jouent souvent le rôle de médiateur entre Riyadh et Téhéran.
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