Nicolas Sarkozy a tendance à ne jamais partir en visite sans intérêt économique. On le lui a déjà reproché et il a répondu que c'était essentiel. Certes, vouloir promouvoir les entreprises françaises à l'étranger, je suis d'accord, mais ce n'est peut-être pas la peine de faire l'apologie de régimes aux pratiques plus que discutables.
Mais, revenons à cette visite en Irak. C'est selon Le Figaro le "retour de la France en Irak". Pourquoi ce "retour" ? Pierre Rousselin le résume assez bien. "Autant il était justifié de s'opposer à la guerre, il y a six ans, autant il convenait de se tenir éloigné d'un Irak en plein chaos, autant il serait absurde, aujourd'hui, de s'en tenir là", écrit-il dans Le Figaro. Cette visite intervient à un moment très opportun. Deux semaines après des élections provinciales convaincantes et dans l'optique d'un retrait prochain des Etats-Unis.
Que cache cette visite ? Le Président français l'a lui-même expliqué en conférence de presse avec son homologue irakien Jalal Talabani :
Nous souhaitons collaborer sur le plan économique, en matière d’énergie, en matière de reconstruction, nous pouvons vous aider à former vos élites. Nous sommes prêts à former davantage de vos étudiants. Nous pouvons vous aider s’agissant des forces de police, de sécurité. Nous pouvons collaborer pour former et équiper aussi l’armée irakienne. Et nous pouvons également vous aider, sur le plan diplomatique, à retrouver la pleine souveraineté internationale de l’Irak.
Il y a dans ces propos la diplomatie française, ou du moins ce qu'elle voudrait être : une puissance économique, une puissance au fort "soft power", une puissance militaire et une puissance politique.
Sur le premier point, le raisonnement français est de se dire que le retrait américain et le renforcement de la souveraineté irakienne avec un Premier ministre nationaliste fort sont des signes propices à de possibles contrats à signer. Sur le second point, c'est l'inépuissable "rayonnement culturel de la France". Former des élites pour qu'elles soient plus réceptives à la France une fois au pouvoir.
Sur le troisième point, il y a matière à débattre. Toutes choses égales par ailleurs, la France n'est pas une force militaire de premier plan, mais avec un budget de la Défense qui représente 2,43% du PIB (Nick Witney compile des indices très intéressants à ce sujet dans un rapport au European Council on Foreign Relations), une industrie militaire bien placée, une présence sur de nombreux théâtres d'opérations, la France peut se présenter comme une force militaire de premier plan. Plus spécifiquement au Moyen Orient, la France va ouvrir une base militaire à Abou Dhabi, ce qui fera de la France le seul pays avec les Etats-Unis à posséder une présence militaire dans la région. D'ailleurs, si quelqu'un sait où ça en est, ça m'intéresse.
Sur le dernier point, Nicolas Sarkozy souhaite renforcer la présence française dans la région. On l'a bien vu pendant la crise à Gaza où il faisait des pieds et des mains pour s'impliquer court-circuitant presque la présidence européenne des Tchèques. Il est d'ailleurs intéressant de noter que Sarkozy ne fait pas mention de l'Europe une seule fois dans sa conférence de presse.
Donc, un "retour", oui, on peut le voir comme ça. Et Pierre Rousselin de continuer, "le moment est donc venu pour la France de retrouver le fil de ses relations anciennes avec l'Irak". J'espère une chose : que la France ne retrouve pas le fil de ses relations anciennes avec l'Irak. Faut-il rappeler que Paris est à l'origine de la centrale nucléaire Osirak, un des piliers du programme nucléaire militaire irakien. Faut-il rappeler que la France a été parmi les principaux fournisseurs d'armes au régime de Saddam Hussein dans les années 1970-1980. A lire l'indispensable The Death Lobby: How The West Armed Iraq qui démonte le mythe que les Américains vendaient des tonnes d'armes à l'Irak d'Hussein. C'est mal parti, car en octobre dernier, des rapports de presse faisaient état de négociations sur la reprise de ventes d'équipements militaires entre les deux pays.
Pour finir, je tiens à faire une petite mise au point sur "l'opposition" française à la guerre en Irak. Avant toute chose, je conseille l'excellent article de David Styan dans Modern and Contemporary France sur les relations entre la France et l'Irak entre 1991 et 2003 (Pour les intéressés, je l'ai). Il y a un débat à savoir si les liens économiques et militaires étroits entre la France et l'Irak pourraient être une des causes principales du "non" français. Styan pense que non, d'autres pensent que cela a joué. Difficile de se prononcer avec certitude.
Donc, cette "opposition", sur laquelle la France se gargarise tant. Oui, la France s'est opposée à la guerre en Irak. Oui, cette guerre était illégale. Non, la France n'a pas maintenu son opposition très longtemps. Non, la guerre n'est pas restée très longtemps illégale. C'est un point peu soulignée, mais le 22 mai 2003 est passée la résolution 1483, en premier lieu importante, car elle lève les "interdictions" - sauf sur les importations d'armes - imposées sur l'Irak depuis 1990. Seule la Syrie s'est abstenue, la France a voté pour. Cette résolution édicte entre autres :
* "qu’il importe de désarmer l’Iraq de ses armes de destruction massive et, à terme, de confirmer le désarmement de l’Iraq".
* la reconnaissance des "pouvoirs, responsabilités et obligations spécifiques de ces États [Etats-Unis, Grande Bretagne et Irlande du Nord] en tant que puissances occupantes agissant sous un commandement unifié (l’« Autorité »), en vertu du droitinternational applicable" . Auparavant, "l'Autorité" était désignée par les "Puissance occupantes".
* la demande "à tous les États Membres de refuser de donner refuge aux membres de l’ancien régime iraquien présumés responsables de crimes et d’atrocités et de soutenir toute action visant à les traduire en justice".
Cette résolution a été saluée par tous les membres permanents et non-permanents du Conseil de Sécurité comme le renouveau de l'unité au sein du Conseil, la voix du compromis. Personne n'a mentionné une quelconque opposition à la guerre. Personne, et pourtant cette résolution légalise la guerre et l'action menée.
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