Alexander Cooley and Daniel Nexon ont publié un excellent article dans Foreign Affairs sur la politique des bases militaires américaines. Le contexte évidemment appelle à une attention toute particulière à la 5e flotte qui se trouve à Bahreïn. Par ailleurs, ce petit Etat du Golfe accueille NAVCENT, la composante maritime de CENTCOM, et offre la base d'Isa pour l'Air Force. Aujourd'hui, avec les soulèvements dans les pays arabes, les Etats-Unis se retrouvent dans une position délicate. Vocaux sur la Libye, ils l'ont beaucoup moins été sur le Bahreïn - mais ils sont loin d'être les seuls. Les deux auteurs analysent cette position d'équilibriste et offrent quelques recommandations.
Tout d'abord, petit retour historique. La présence américaine à Bahreïn précède l'indépendance du pays en 1971. En effet, déjà sous le protectorat britannique, la marine américaine était sur place. Au moment de l'indépendance, les Etats-Unis ont offert quatre millions de dollars à Manama pour conserver la présence d'une base. A la suite de la guerre du Kippour en 1973, la relation s'est tendue et même si les Américains et les Bahreïnis ont trouvé un compromis, les premiers n'ont pas fait de vague. Cette base s'est avérée particulièrement utile lors de la Guerre du Golfe en 1990 pour accueillir 20000 militaires. A la suite de la guerre en 1991, les deux parties ont signé un accord sur dix ans ; quatre ans plus tard, la présence américaine s'est renforcée avec l'installation du siège de la 5e flotte et de NAVCENT. L'accord a été renouvelé en 2001.
Pourquoi évoquer cette base ? L'intervention du CCG au Bahreïn implique indirectement Washington. En effet, les justifications pour cette opération sont sujettes à caution et la réaction des Etats-Unis était de fait attendue. Il semble que le maître-mot sur le cas bahreïni soit la prudence et la réserve. Ainsi Washington aurait-il été prévenu de l'intervention, mais pas consulté. Les deux auteurs notent qu'une telle distinction ne risque pas de contenter ceux qui voient un soutien tacite à l'intervention. Une tendance qui coïncide avec les attitudes américaines dans d'autres cas. Au Kirghizstan l'an passé, les Etats-Unis avaient été accusés d'être trop complaisants avec le Président Bakiyev et le changement de gouvernement a provoqué de nombreux débats quant à la pérennité de la base de Manas.
Pour revenir dans le Golfe, les Etats-Unis ont des installations militaires dans tous les pays, à l'exception de l'Arabie Saoudite. Certes, les révoltes ont peu prises dans les autres pays, mais si elles venaient à prendre de l'ampleur, les Américains se retrouveraient dans une position délicate. En effet, Washington devrait alors faire face à un dilemme délicat. D'un côté, une stabilité politique permet d'éviter des remouds autour des bases, que le régime soit démocratique ou non - nous avons plus souvent à faire à des régimes autoritaires. Washington ne promeut souvent guère plus que des réformes incrémentales. De l'autre, la politique américaine de promotion de la démocratie serait mise à mal - et le crédit de Washington avec - si des mouvements aux revendications démocratiques n'étaient pas soutenus par la Maison blanche.
Dans ce contexte, les auteurs formulent trois recommandations :
- Les Etats-Unis doivent s'assurer que leur présence permet au plus grand nombre d'en tirer des bénéfices. Dans le cas du Bahreïn, cette présence génère environ 150 millions de dollars par an, soit 1% du PIB du pays, mais ces revenus sont principalement captés par l'élite. Cette recommandation me parait pertinente.
- Des liens trop étroits avec des régimes autoritaires sapent la reconnaissance locale, et a fortiori internationale, de cette présence. Tout en assurant les engagements pris, militaires et diplomates devraient établir un réseau d'activités sociales, politiques et économiques avec les populations locales, même au détriment d'un désaccord avec le régime. A priori, cela me parait utile, mais je ne sais pas dans quelle mesure cela est envisageable en termes logistiques, mais surtout si la population en voudrait. Parlent-ils d'une sorte de soutien à la société civile ? Comme je l'ai appris il y a peu, elle est très marginale. Surtout, c'est au niveau politique que l'impact peut être le plus important. Des programmes locaux peuvent soutenir une politique - en l'occurrence forcer la main des pouvoirs autoritaires. Il serait perçu comme hypocrite que les Etats-Unis lancent des projets de soutien locaux tout en restant silencieux sur les développements politiques du pays.
- Les Etats-Unis doivent au maximum déconnecter leur présence d'un soutien au régime en place. Ils doivent clairement établir que la base vise à la stabilité régionale et pas au renforcement du pouvoir local. Cette recommandation est essentielle, mais les auteurs sont pris à leur propre jeu. Si la distinction entre "être informés" et "être consultés" concernant le déploiement des troupes du CCG risque de ne pas être bien comprise, une déconnexion entre stabilité régionale et soutien au régime est une distinction qui risque également d'être mal interprétée. Le seul moyen pour rendre ce point crédible est d'émettre de réelles critiques à l'encontre du manque de libéralisation du régime.
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