mardi 28 décembre 2010

La crise de l'eau : source d'instabilité intérieure au Moyen Orient



John Alterman et Michael Dziuban du Center for Strategic and International Studies viennent de publier un papier extrêmement intéressant sur la crise de l'eau au Moyen Orient. De nombreuses études sur la situation hydrique du Moyen Orient anticipent des conflits entre pays pour la maîtrise de cette ressource naturelle, qui ne possède aucune alternative. Pour autant, Alterman souligne que jusqu'à présent, aucun conflit international n'a éclaté à cause de l'eau dans la région. Néanmoins, le point d'achoppement qu'il voit émerger est une instabilité intérieure grandissante au fur et à mesure que l'eau se raréfie. Son approche est, à ma connaissance, originale. Selon lui, les dirigeants régionaux utilisent l'eau comme un outil politique. L'eau ne fait bien entendu que partie d'un ensemble d'autres biens et services fournis aux populations quasi gratuitement sur le système d'un Etat-rentier. Le problème est que l'eau est une ressource finie et qu'elle ne connaît pas d'alternative. En Jordanie par exemple, le gouvernement utilise l'eau comme un catalyseur de tensions. De grandes familles sont en charge de l'agriculture et le gouvernement n'interfère quasiment pas les laissant libres tout en leur fournissant les ressources hydriques nécessaires.


Distribution de l'eau au Moyen Orient (source : UNESCO)

Alors que l'on se trouve dans une région extrêmement aride (cf. carte) et où les sols ne sont pas riches en eau, les régimes développent d'incroyables et coûteux systèmes pour soutenir la consommation d'eau, que ce soit à des fins individuelles mais surtout à des fins agricoles. A titre d'exemple, deux tiers de la population yéménite vivent de l'agriculture, en grande partie le qat. Ainsi les gouvernements ne développent-ils pas de prise de conscience du prix de l'eau et le contre-coup peut être fatal. Il faut se rendre compte que 60% des programmes mondiaux de désalinisation ont lieu dans la région (principalement en Arabie Saoudite et aux EAU).

Dans un premier temps, Alterman envisage de fortes migrations, tant un exode rural que des migrations de villes à villes. Dans les deux cas, la migration sera motivée par la recherche de l'eau. Au Yémen, cette migration serait catastrophique, car l'assèchement des sols est généralisé dans tout le pays. A Sana'a, les experts estiment qu'il n'y aura plus d'eau dans les sols d'ici à 2017. Alterman envisage également une perte de soutien au sein des populations qui bénéficiaient d'un accès à l'eau sans restriction pour l'agriculture. Pis encore, cela peut provoquer un regain de tensions ethniques. Les politiques hydriques ont eu tendance à apaiser la population ainsi que l'élite. Une raréfaction de l'eau pourrait générer une réaction violente de la part des deux groupes, qui pourraient se sentir trahis par le régime ; les uns n'auraient pu accès à l'eau, les autres perdraient également un levier de pouvoir et d'autorité qu'ils possédaient dans le pays.


Des sources importantes d'instabilité. L'auteur indique que les gouvernements de la région ont déjà eu à faire à des révoltes qui trouvaient leur origine dans le manque d'accès à un produit de première nécessité. Ce fut le cas en Egypte en 2008 par exemple suite à une montée des prix record qui menaçait la sécurité alimentaire. Toutefois, la sécurité hydrique est plus problématique, car une fois encore, lorsque les aquifères sont vides, elles ne peuvent pas être réapprovisionnées.

Utilisation de l'eau dans l'agriculture et poids dans le PIB

Que faire ? Alterman propose des recommandations quelque peu radicales. En effet, des mesures importantes sont à mettre en place. La première est de chercher des alternatives pour la désalinisation. Une recommandation qu'il tempère rapidement en soulignant qu'il faut instaurer des obstacles à la demande ; il propose de lancer des taxes, notamment dans le domaine agricole, et des récompenses pour bonne conduite. Par ailleurs, Alterman suggère de lancer de vastes programmes d'installation de "compteurs intelligents", dont l'objectif est de mieux connaître la consommation d'eau dans le pays et de pouvoir ainsi mieux la contrôler - les EAU explorent déjà cette voie. Bien évidemment, un effort crucial doit être réalisé en matière d'agriculture. Comme l'indique le graphique, l'agriculture est une des principales sources de consommation d'eau, alors que son poids économique est souvent infime. Il faut restructurer la production intérieure et par exemple inciter les agriculteurs à produire ce dont le marché a besoin plutôt que ce qu'ils ont envie de produire. D'une manière générale, c'est une campagne auprès des populations qu'il faut lancer pour mieux les sensibiliser au problème de la raréfaction de l'eau, notamment dans les villes.

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