vendredi 26 février 2010

Un peu de psycho pour résoudre le conflit israélo-palestinien


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Carlo Strenger, le directeur du programme de psychologie à l'Université de Tel Aviv, promeut "la diplomatie thérapeutique" pour résoudre le conflit israélo-palestinien. C'est le point central d'une tribune qu'il a écrite pour le New York Times.
Le problème de départ est que l'administration Obama, tout comme Bill Clinton, croit que les deux parties sont essentiellement rationnelles, qu'elles agissent en accord avec leurs intérêts et que pour débloquer le processus, le médiateur doit simplement réduire leurs différences. En vérité, il est clair pour moi en tant que psychologue que les deux parties marinent dans un trauma collectif.
Pour lui, les Palestiniens n'arrivent toujours pas à passer outre la Nakba (la catastrophe en arabe) de 1948 où ils ont perdu leurs terres. Les Israéliens, de leur côté, vivent dans la peur constante de l'annihilation, ce qui occulte toute politique de compromis. Strenger recommande donc deux modifications dans les négociations. Il faut tout d'abord ne pas imposer de calendrier, mais autoriser un processus sans fin déterminée. Deuxièmement, il faut laisser la place aux émotions, qui, même si cela donnera des débats chargés, permettront à chacun de s'exprimer et d'extérioriser ses sentiments.


Strenger estime que c'est le seul moyen pour que les Palestiniens puissent véritablement faire comprendre leur besoin qu'Israël reconnaisse sa part dans la Nakba et qu'Israël puisse progressivement admettre sa part de responsabilité. Cela conduira également les Palestiniens à reconnaître qu'ils n'ont pas toujours été des acteurs passifs (rejet du plan de partition en 1947, attentats suicides...). Ce serait le point de départ pour que chaque partie commence à accepter le discours de l'autre. Avant cela, il faudrait d'accord sur la part de responsabilité israélienne. Je ne vais pas rentrer ici dans la polémique de la Nakba entre les "Nouveaux historiens" israéliens qui parlent d'expulsion volontaire et programmée des Palestiniens comme Benny Morris et les historiens traditionnels, comme Efraïm Karsh, qui maintiennent que ce sont les circonstances de guerre qui ont principalement fait fuir les Palestiniens et que les principaux dirigeants n'avaient pas de politique d'expulsion. 

Ce psychologue n'est pas le premier à parler de la diplomatie thérapeutique. Bertram Cohen a déjà traité de ce sujet, notamment dans un article très intéressant publié par la revue universitaire Group en 2002. Pour changer les mentalités,
cela requiert généralement des transformations de perceptions du soi et de l'autre, en même temps que des changements de comportement pour donner du sens aux changements de perception. Quand on cherche de tels changements, les objectifs des groupes réunis pour aboutir à la résolution de conflit entre groupes deviennent similaires (bien que pas identiques) aux buts de transformation de soi recherchés dans les psychothérapies de groupe. 
Cohen détaille un point essentiel qui contraste quelque peu le point de vue de Strenger. Il explique en effet que dans ce type de processus, les conflits personnels doivent être contenus pour que les négociations avancent. En d'autres termes, un négociateur doit être capable de modérer ses représentations de l'autre pour le bien du groupe. Toutefois, il rejoint Strenger sur le fait que l'aspect émotionnel est crucial. Si l'on évite les aspects les plus personnels qui antagonisent fondamentalement les deux parties, il est vain d'espérer un changement de perception. Cohen privilégie toutefois deux voies diplomatiques : Track I (la voie traditionnelle) et Track II (la voie informelle). Rien de bien nouveau, la Track II diplomacy existe au sein du conflit israélo-palestinien depuis la fin de la Guerre des Six jours en 1967. Hussein Agha et al ont déjà montré à quel point la voie informelle avait servi à amener à des négociations officielles. Les Accords d'Oslo en 1993 en sont l'exemple le plus probant.

Strenger lui ne semble pas privilégier l'une ou l'autre, voire il donne l'impression que les émotions devraient être mises en avant dans les négociations officielles. J'ai de grands doutes sur les bénéfices à tirer de ce type d'initiatives. Il est déjà suffisamment difficile de maintenir un dialogue officiel quand nous sommes dans la voie diplomatique traditionnelle. S'il faut d'emblée rajouter une dimension émotionnelle, je ne vois qu'une détérioration vertigineuse des relations.

L'idée de ne pas divorcer les aspects proprement politique et émotionnel est essentiel, mais cela pourrait se faire par ce qui est parfois vu comme la Track One and Half Diplomacy, qui est en fait ce que l'on appelle souvent la Track II, c'est-à-dire que des Etats mandatent des acteurs non-étatiques pour préparer le terrain. La Track II n'implique pas une coordination entre les efforts de dialogue de certains acteurs avec les autorités gouvernementales. Toutes ces initiatives sont cruciales pour faire évoluer les mentalités. Néanmoins, il faut être conscient que les postures politiques palestiniennes et israéliennes sont autant guidés par un pathos encore très fort, mais aussi - et peut-être davantage - par des considérations politiques de très court terme et un manque d'engagement personnel des dirigeants.  

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