samedi 27 février 2010

Note de lecture : Gestion de crise, maintien de la paix et consolidation de la paix de Thierry Tardy

J'ai rédigé une note de lecture sur le dernier ouvrage de Thierry Tardy pour recension dans une revue française. Je me suis dit que cela pourrait en intéresser certains.

Gestion de crise, maintien de la paix et consolidation de la paix. Acteurs, activités, défis de Thierry Tardy, Bruxelles, Ed. De Boeck, 2009, 280 p.

Thierry Tardy est aujourd’hui l’un des principaux spécialistes des questions de gestion post-conflit. A plusieurs égards, son nouvel ouvrage mérite une attention toute particulière. Tout d’abord, ce professeur au Centre de Politique de Sécurité de Genève ambitionne de combler une lacune de la littérature francophone en publiant un manuel sur la gestion de crise et le maintien de la paix. Ensuite, il étudie autant les aspects théoriques que les principales organisations régionales et internationales pourvoyeuses de personnels civils et militaires. Enfin, son ouvrage se veut très complet. « La gestion de crise prend différentes formes, incluant la prévention ou la résolution d’un conflit ouvert, le traitement des conséquences – sur le plan humanitaire notamment – d’une crise, ou le maintien de la paix et la consolidation de la paix dans des environnements post-conflictuels » (p. 9). Tardy a adopté une approche très didactique en privilégiant une analyse par acteurs sans effectuer de comparaisons et de manière non-thématique.


L’ouvrage s’ouvre sur deux chapitres théoriques en vue de définir ce qu’est une crise et ce que Tardy définit comme la gestion de crise. Elle « se comprend comme une activité opérationnelle, c’est-à-dire impliquant le déploiement de moyens humains, civils ou militaires, généralement réunis au sein d’une entité appelée mission ou opération, et pour une période limitée dans le temps » (p. 24). Plusieurs éléments sont ici clés : le déploiement de capacités – traitant la question du financement et l’engagement politique des acteurs –, l’approche intégrée – un terme à la mode pour désigner la coopération civilo-militaire – et le mandat, duquel découle souvent la légitimité de la mission. Ces trois thèmes sont systématiquement étudiés dans chacun des chapitres consacrés à l’ONU, l’OSCE, l’OTAN, l’Union Africaine et l’Union Européenne. En outre, deux chapitres sont dédiés à l’émergence d’acteurs non-étatiques dans la gestion de crise que sont les ONG et les entreprises privées de sécurité.

Tardy tire un bilan plus que mitigé sur l’état actuel du paysage. Les années 1990 ont été marquées par une fanfare d’opérations bénéficiant souvent d’un grand soutien politique. Cette époque semble être révolue, ce que l’auteur justifie par deux évolutions. Dans un premier temps, l’absence de stratégie au niveau global obscurcit les objectifs de ces missions. Il y a aujourd’hui un panel de menaces grandissant sur lesquelles divergent parfois les définitions et les réponses à y apporter. Ce facteur est capital en raison de l’aspect multinational des opérations. Dans un second temps, l’euphorie humanitariste des années 1990 a laissé place à des calculs plus pragmatiques imposés par des budgets de défense sévèrement amputés, des capacités forcément manquantes et une réticence à apporter un soutien politique résolu à ces missions. Gestion de crise souligne donc un paradoxe troublant que la demande de déploiement de personnel civil et/ou militaire n’a jamais été aussi forte, mais en même temps, les obstacles pour de telles opérations n’ont jamais été aussi importants.

Cet ouvrage n’aura aucun mal à devenir une référence, et à raison, tant la rare concurrence en langue française fait pâle figure. Cependant, on pourra reprocher à Tardy de ne pas avoir été plus aventureux dans le choix des organisations. En effet, il aurait été intéressant qu’il se penche sur celles qui ont, ou pourraient avoir, vocation à développer ce type de forces, telle l’Organisation du Traité de Sécurité Collective. Justement parce que la demande est croissante, l’absence de ces forces dans les organismes régionaux soulève de nombreuses questions. D’ailleurs, une réponse reste en suspens quant au rôle de l’ONU qui est en principe au cœur de ces opérations. A-t-elle aujourd’hui les moyens de gérer la coordination entre les différents organismes régionaux comme elle cherche à le faire ?

Il faut également espérer que Tardy s’attèle à mettre à jour son ouvrage régulièrement. Pour lui assurer une réelle pertinence, chaque édition ne peut être espacée de plus de trois, voire quatre, ans. Gestion de crise est en tous cas un ouvrage indispensable qui pourra autant servir aux étudiants, qu’aux chercheurs, mais également aux praticiens.

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