samedi 7 novembre 2009

"La réassurance" au coeur de la politique américaine à l'égard d'Israël

Cela faisait un petit moment que je n'avais pas lu d'article universitaire sur le Proche et Moyen Orient. J'ai corrigé cette erreur en lisant le papier d'Ariel Ilan Roth dans International Studies Perspectives. Il s'interroge sur les raisons du soutien américain à Israël en essayant de dépasser l'argument principal de Stephen Walt et John Mearsheimer que la politique américaine à l'égard d'Israël est contreproductive et va à l'encontre des intérêts américains. En bon réaliste qu'il est, Roth ne peut pas accepter ce bilan. Tout bon réaliste ne peut pas admettre que la politique d'un Etat vis-à-vis d'un autre Etat n'est pas guidée par la poursuite de ses intérêts nationaux.

Selon Roth, l'intérêt américain au Moyen Orient est l'accès au pétrole et pour éviter de compliquer cette tâche, il faut limiter les conflits dans la région autant que faire se peut. En effet, tout conflit régional majeur rend l'accès aux ressources naturelles plus complexe. Dans cette optique, il est important de limiter les velléités israéliennes. Roth estime qu'il est vain de sous-estimer le fait qu'Israël se sente constamment menacée et isolée ; il va plus loin en écartant les arguments de Walt et Mearsheimer sur le fait que la supériorité militaire et technologique israélienne, les accords de paix avec l'Egypte et la Jordanie et la faiblesse de ses voisins suffisent à pallier à ce facteur psychologique. En s'appuyant sur les travaux de Robert Jervis sur la perception de soi, Roth affirme que le leadership israélien se sent menacé et sans allié naturel. Cela résulte de perceptions liées aux expériences personnelles des dirigeants israéliens avec l'Holocauste, mais également de la perception que sans allié, le seul moyen d'être plus ou moins en sécurité est de réagir de manière disproportionnée pour affirmer sa supériorité.

En d'autres termes, les réactions militaires israéliennes sont guidées par ce sentiment d'isolement profond. De fait, il importe peu de se préoccuper des conséquences politiques d'actions militaires ou de son image dans l'opinion internationale dès lors qu'on montre que sa sécurité prime avant tout et à presque n'importe quel prix.

Roth lie donc l'élément de l'intérêt pétrolier américain avec l'instinct de survie israélien en expliquant que pour éviter que les Israéliens ne réagissent systématiquement par le recours à la force disproportionnée, les Américains s'instaurent comme des alliés naturels, ce qui rassurent l'Etat hébreu qu'il n'est pas complètement seul. Selon l'auteur, le facteur de réassurance permet de limiter les excès militaires israéliens, car si Israël ne se sent pas seule, elle est prête à se retenir. Il prend quelques exemples historiques. En 1967, l'Etat hébreu n'a pu compter sur aucun réel soutien occidental, ce qui a débouché sur un raz-de-marée militaire israélien sur l'Egypte, la Jordanie et la Syrie. A contrario, en 1973 et en 1991, les Etats-Unis étaient devenus des alliés indispensables pour Israël à tel point que Washington a réussi à convaincre Golda Meir puis Yitzhak Shamir, en 1973 de ne pas lancer de frappe préventive et en 1991 de ne pas répondre aux tirs de SCUD iraqiens. Dans les deux cas, cela allait à l'encontre des intérêts d'Israël, car pour la guerre du Kippour, cela a failli coûter la victoire aux Israéliens et pour la seconde Guerre du Golfe, cela a décrédibilisé l'Etat hébreu dans son intransigeance à répondre aux offensives étrangères. Pour Roth donc, la réassurance est ce qui explique le soutien américain à Israël, mais il faut désormais trouver un équilibre entre ce soutien et une capacité à montrer une insatisfaction avec certaines politiques israéliennes qui encornent l'image américaine.

Outre l'intérêt de l'argument, quelques points me dérangent:
* Tout d'abord, pour justifier de la perception d'oppression et de crainte d'un second Holocauste, Roth se concentre sur des dirigeants qui ont vécu cette période. Les dirigeants actuels sont nés après et donc, pour que son argument soit valable, il faut imaginer que la crainte d'un second Holocauste ne soit pas qu'une perception par l'expérience, mais également une perception par la conscience collective, ce qui est plus difficile à mesurer même s'il peut se défendre. Néanmoins, il est alors beaucoup plus complexe de jauger jusqu'à quel point cette référence est véritable ou jusqu'à quel point certains l'utilisent pour manipuler le pathos israélien.
* Ensuite, Roth écarte la question palestinienne de son argumentaire. En effet, il prévient que son argument n'est pas de remettre en cause les critiques de Walt et Mearsheimer sur la politique israélienne à l'égard des Palestiniens. Autrement dit, il faut considérer que le levier américain n'est activé que lorsque des enjeux régionaux sont en jeu, mais pas quant il s'agit de Palestiniens, parce qu'ils n'ont pas de pétrole. C'est nier le fait que le dossier israélo-palestinien joue un rôle majeur dans la mauvaise image américaine dans la région et que contribuer à sa solution serait bénéfique pour les intérêts américains.
* Enfin, Roth part du postulat non expliqué que les Etats-Unis conduisent leur politique étrangère dans la région en fonction du facteur pétrolier. S'il y a une part de vérité à cela, il ne faut pas négliger d'autres intérêts commerciaux, l'emplacement géostratégique de la région et la répercussion des conflits du Moyen Orient sur la scène politico-médiatique internationale, qui sont d'autres facteur tout aussi importants.

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