jeudi 19 mars 2009

Note de lecture sur Terreur et Martyre de Gilles Kepel

Je dois écrire une note de lecture pour une revue universitaire sur Terreur et Martyre de Gilles Kepel (édition poche, Flammarion, 2009). Frustré par les contraintes d'espace, je vous fais part de la version non-coupée, non-éditée, finalement, ma version.

Terreur et martyre s’inscrit dans la lignée des précédents ouvrages de Gilles Kepel sur l’islamisme (Du jihad à la fitna et Fitna : guerre au cœur de l’islam). L’auteur s’est affirmé comme une référence incontestable dans la discipline en France et dans le monde anglo-saxon, phénomène rare pour un auteur français. Son nouvel ouvrage met en scène « deux Grands récits ». Le premier est incarné par le gouvernement américain des administrations de George W. Bush, le second reflète l’idéologie d’Al Qaïda. Kepel explique comment l’échafaudage des deux doctrines n’a pu résister à la réalité, comment toutes deux aussi ambitieuses, destructrices et presque complices ont connu un sort tragique, car elles étaient intrinsèquement vouées à l’échec. Affrontement physique, il y en a eu, notamment en Afghanistan, mais surtout affrontement virtuel. Al Jazeera, YouTube et l’Internet deviennent les rings de ce combat manichéen et exclusiviste. Face à la faillite de ces des deux Grands récits, Kepel voit dans l’Europe le candidat potentiel pour sortir de ce champ de ruines. Dans une démarche de paix par le développement économique, l’auteur convoque un axe euroméditerranéen comme moteur d’apaisement dans le Golfe.

Prenant comme évènement pilier les attentats du 11 septembre 2001, l’universitaire résume les péripéties de ces dernières années dans lesquelles les Etats-Unis, de la guerre en Afghanistan à la guerre en Irak, de Guantanamo Bay aux scandales d’Abou Ghraïb, ont perdu crédit et assurance, dans lesquelles le Grand récit du terrorisme, dévoilé par Bush lors du discours de l’Union en 2002, s’est noyé. Si l’auteur est un spécialiste des mouvements islamistes, il pêche sur les Etats-Unis. Son propos paraît parfois étonnamment caricatural. Il manque de finesse d’analyse dans son approche de la politique américaine et l’interprète pour le bien de son paradigme comme un gros bloc monolithique. De plus, Kepel passe outre l’évanouissement progressif de la pensée néoconservatrice au sein de l’administration américaine.

Kepel reprend la main dans le second chapitre en traitant du rapport au mieux conflictuel entre Sunnites et Chiites. Il explique comment les Sunnites se sont réappropriés le « martyre », pourtant phénomène avant tout chiite. L’acte de naissance du Hezbollah libanais s’est fait sur les débris de l’attentat-suicide du 11 novembre 1982. Les moudjahidines sunnites combattaient à ce moment l’armée rouge en Afghanistan, sans y avoir recours. Il faudra attendre le Hamas pour que cette pratique se généralise. Technique devenue pilier central de la stratégie d’Al Qaïda, au point qu’Abou Moussab al-Zarqaoui en Irak l’a largement utilisé contre les Chiites.

Le chapitre suivant est consacré à une décortication complète de la rhétorique triomphaliste d’Ayman al-Zawahiri face à la « troisième génération de jihadistes » incarnée par Abou Moussab al-Souri et son discours défensif et pessimiste sur la situation de repli auquel le jihad global doit faire face. Kepel explique que loin du lyrisme d’al-Zawahiri, al-Souri introduit le jihad comme une résistance et présente Al Qaïda comme un nizam, la tanzim (une méthode, non une organisation). Kepel ne fait étonnamment aucune mention du théologien Abou Yahya al-Libi pourtant devenu une des figures de premier plan du mouvement.

Dans le dernier chapitre, il se focalise sur l’Europe et analyse avec pertinence les évènements marquants où l’islam sous toutes ses formes s’est retrouvé impliqué, que ce soit les attentats de 2005 en Grande-Bretagne, l’assassinat de Theo Van Gogh, les caricatures de Muhammad ou le discours de Ratisbonne. En parallèle, il étudie les émeutes des banlieues en France sous un prisme différent. Pour Kepel, elles n’étaient pas liées à une déchirure du tissu communautaire, mais à une demande d’intégration dans la société française. Pas de radicalisme religieux ici, car contrairement au Pays-Bas et à la Grande-Bretagne, où ont été longtemps consolidés des modèles communautaristes, dont les conséquences pernicieuses se sont violemment fait sentir, la France a toujours évité ce travers, estime l’auteur.

Europe chamboulée par ces évènements, mais Europe seule garante potentielle d’un avenir plus paisible ? Kepel le croit. Relativement épargnée par les deux Grands récits, elle doit renouveler un partenariat avec la Méditerranée, tant c’est un enjeu de politique intérieure que de géopolitique. « [I]l n’existe tout simplement pas d’autre choix que de construire la paix par un développement économique conjoint qui couvre l’espace de la région eurogolfe autour de l’axe méditerranéen » (p.301). Théorie en conformité avec le soutien qu’il apporte à la fondation Eurogolfe dont il est le co-fondateur. Théorie avenante et dont a priori la finalité semble plausible, mais dont la réalisation fera face à de nombreux obstacles.

1 commentaire:

Anonyme a dit…

Recension intéressante.
je vous renvois vers la mienne, avec aussi une contrainte de signes.

http://shyankar.blogs.courrierinternational.com/archive/2009/03/23/n-est-pas-sociologue-qui-veut.html

Bonne continuation pour votre blog ;)

A bientôt et au plaisir de vous relire.

Sh.

 

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