J'ai voulu attendre un peu avant de parler des changements dans le système politique saoudien. Une série de modifications de poste, certaines significatives, d'autres moins importantes. Ce n'est pas tant les réformes qui m'intéressent ici que la manière dont elles sont perçues. Une réaction semble unanime : saluons ce geste du roi Abdallah, ce sont ses premières réformes depuis sa prise de pouvoir en 2005. Mais, après, on navigue en eaux troubles.
Analyser l'Arabie Saoudite est déjà un business bien difficile, mais analyser la pensée politique saoudienne est aussi complexe qu'ouvrir un coffre-fort. Ainsi la presse regorge-t-elle d'interprétations aussi définitives que disparates. Les plus prudents, comme Simon Henderson du Washington Institute for Near East Policy, saluent les annonces, mais attendent de voir les réactions des milieux les plus conservateurs avant de se prononcer sur la portée réelle de ces annonces.
Karen Elliott House est très enthousiaste dans une tribune au Wall Street Journal. Ces changement "indiquent que [le roi Abdallah] a finalement trouvé la confiance nécessaire pour faire plus que parler de réformer son régime insatisfait", écrit-elle. Elle voit dans ces décisions un message clair du roi en place. Ce dernier a passé de nombreuses années, avant même de prendre la tête du royaume, à parler de dialogue inter-religieux, de tolérance, de rassemblements entre Sunnites et Chiites (fait particulièrement notable tant le wahhabisme est sévère à l'égard des suiveurs d'Ali). Le départ de personnes comme le Sheikh Saleh al-Luhaidan, à la tête du Conseil judiciaire, et du Sheikh Ibrahim al-Ghaith, chef de la tristement connue Commission de la Vertu et de la Prévention du Vice, seraient les indices, selon elle, qu'Abdallah a désormais la voie ouverte, car les remplaçants sont plus modérés.
Le troisième type d'interprétation est quelque prématuré, mais pour Barah Mikaïl de l'IRIS, c'est le début de la fin pour le wahhabisme en Arabie Saoudite. "On le voit, les réformes saoudiennes ainsi engagées font penser que le monarque et les stratèges d’Etat saoudiens ont une préoccupation majeure, présage-t-il sur affaires-stratégiques.info, à savoir : comment dégager à terme le royaume de son idéologie d’Etat officielle, le wahhabisme, tout en gardant néanmoins cette même dénomination intacte sur le plan officiel."
Les trois soulèvent en tout cas des points intéressants. Henderson et House expliquent que tout changement doit être un choix concerté en Arabie Saoudite. House, notamment, s'appuie sur le parcours du roi actuel, qui a attendu que son frère, le roi Fahd, meure plutôt que de pousser le clergé saoudien a le nommer plus tôt. Patience est vertu pour lui.
Comme l'explique Mikaïl, il ne faut pas oublier que, certes des ministères importants ont été modifiées, dont la santé et l'éducation, qu'une femme a été nommée à un poste et qu'elle affirme publiquement que "ce n'est que le début", mais le tryptique Intérieur-Défense-Affaires étrangères demeure plus que jamais en place et c'est lui qui fait tenir le royaume en place. La plus grande crainte du régime saoudien est de perdre certaines régions, notamment l'est riche en pétrole mais sous population chiite.
Mais, alors pourquoi ce changement? Pour le Daily Star, ce n'est ni plus ni moins que la poursuite lente mais progressive d'une ouverture politique en Arabie Saoudite. House voit ce changement comme une nécessité structurelle, car le royaume connait un gap générationnel énorme entre une population jeune et prometteuse et un leadership au mieux sexagénaire. Ce chamboulement s'inscrit, selon moi, dans ce que Marina Ottaway et Michele Dunne qualifient dans une étude au Carnegie Endowment en 2007, de "dilemme du roi". Elles expliquent que les régimes arabes arrivent à la conclusion que des réformes sont nécessaires pour conserver une économie compétitive, car le pétrole va ne plus suffire. Une autre source de réformes serait la pression extérieure, notamment des Etats-Unis et de l'Europe ; des réformes serviraient donc à apaiser leurs demandes d'ouverture plus qu'à créer une réelle ouverture. L'arrivée d'Obama pourrait-elle jouer un rôle ?
Mais, la question est de se demander où se trouve la limite entre des réformes de façade qui ne modifient pas fondamentalement le régime et des mesures qui vont permettre la création de conditions pérennes d'une remise en cause du pouvoir en place ?
mardi 24 février 2009
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