samedi 13 septembre 2008

Chuck Freilich : « L’administration d’Olmert : une opportunité gâchée et une tragédie pour Israël »

Pour le compte de LeCourant.info, j'ai fait une interview de Chuck Freilich en amont du départ des élections prochaines au Kadima et du départ d'Olmert.

Spécialiste des questions de sécurité nationale d’Israël, Chuck Freilich est aujourd’hui chercheur au Belfer Center for Science and International Affairs à l’Université de Harvard. Il écrit actuellement un ouvrage sur les prises de décision en matière de sécurité nationale en Israël.

LC : Ehud Olmert ne se représentera pas pour les élections de son parti Kadima le 18 septembre. Il est resté deux ans au pouvoir, dans la moyenne israélienne. Quel jugement portez-vous sur la mandature d’Olmert au niveau du dossier israélo-palestinien ?
Chuck Freilich : Je pense que la période Olmert a été une opportunité gâchée et dans ce sens une tragédie pour Israël. Il avait le potentiel pour être un très bon Premier ministre et je pense qu’il voulait vraiment trouver une solution sur la question palestinienne. Pendant sa campagne, sa plateforme consistait en un « plan de consolidation de la Cisjordanie ». C’était après le désengagement unilatéral de Gaza et désormais, il parlait de désengagement unilatéral de la Cisjordanie en lui donnant un nouveau nom, « la consolidation ». Il n’a jamais précisé où Israël se retirerait, mais il évoquait la barrière (fence), ce qui veut dire qu’il pensait déjà à un retrait d’approximativement 90% de la Cisjordanie.
Malheureusement, la guerre du Liban a éclaté. Il a fait preuve d’une très mauvaise gestion de la crise. Le fait qu’Israël devait partir en guerre à cause de la situation sécuritaire à la frontière avec le Liban, le fait que le Hezbollah avait tiré approximativement 4000 roquettes qui venaient après quelques milliers de roquettes que le Hamas avait tiré de Gaza suite au désengagement unilatéral, l’idée de « consolidation » est devenue politiquement moribonde. Israël s’est retiré unilatéralement du Liban, puis de Gaza. Sur les deux fronts, tout ce que les habitants voulaient était de vivre en paix, à la place, ils ont eu des milliers et des milliers de roquettes.
Je pense qu’Olmert a été méritant, un an après, de faire revivre le processus de paix à Annapolis, mais, à ce stade, c’était déjà irréaliste tant au niveau du temps que des conditions fondamentales, parce que personne en Israël n’était prêt à parler de désengagement en Cisjordanie, surtout pas unilatéralement. Du côté palestinien, il n’y avait personne à qui parler, car certes Abu Mazen (le nom de guerre de Mahmoud Abbas) voulait et veut encore conclure un accord, mais le Hamas s’était emparé de Gaza et il n’avait plus de pouvoir.
Il faut noter toutefois que le successeur d’Olmert ne va peut-être pas arriver si vite, car il devra constituer une coalition et il n’est pas certain que cela se fasse si rapidement, si même elle est formée. Il reste donc peut-être quelques mois avant que son successeur ne parvienne à former une nouvelle coalition.

LC : Lors de son discours annonçant qu’il ne se représenterait pas, il a également affirmé qu’il ferait tout pour atteindre un accord. Etait-ce une coquille vide, une réelle volonté personnelle ou l’envie de soigner son image pour l’Histoire ?
CF : Je pense qu’il était sérieux. Si l’on en croit le peu d’informations disponibles sur les négociations en cours, il semble que des progrès substantiels ont été atteints. Il a proposé un retrait de 93% de la Cisjordanie et quelques pourcents du territoire israélien qui seraient donnés aux Palestiniens en compensation des 7% de la Cisjordanie restants. Il était, semble-t-il, prêt à un retour qu’on pourrait qualifier de « symbolique », mais pas plus. Je ne crois pas que la question de Jérusalem ait été sérieusement étudiée, en raison de débats de politique intérieure. Cela n’en reste pas moins une proposition conséquente, mais je ne pense pas qu’il ait le temps de l’appliquer. Dans les dernières semaines, il a privilégié son timing personnel pour négocier sur les dossiers, ce qui n’est pas acceptable. Je pense que désormais il essaie de façonner son héritage, mais jusqu’alors, l’effort était sérieux. C’est une bonne base pour son successeur.

LC : Quelles sont les questions de politique intérieure que vous évoquez ?
CF : La principale sur Jérusalem concerne le parti Shas (un parti ultra-orthodoxe ndlr), qui fait partie de la coalition gouvernementale, a menacé de se retirer de la coalition, si Olmert négociait sur Jérusalem. Tout en probablement négociant sur la question, il s’est abstenu de conclure un accord sur ce dossier.

LC : Les Palestiniens ont refusé l’offre de paix des Israéliens. Comment l’expliquez-vous ?
CF : Je ne suis pas certain qu’ils l’aient totalement refusée, du moins c’est leur position officielle. Il y a plusieurs raisons à ce rejet. Abu Mazen veut un accord final global, notamment sur la question de Jérusalem. Comme je l’ai déjà mentionné, je doute que ce soit le cas du côté israélien. Olmert ne peut pas publiquement résoudre cette question.
Ensuite, les Palestiniens ont l’habitude de dire « non » à toute proposition. Abu Mazen a un problème à l’heure actuelle, c’est qu’il ne peut parler au nom de personne. Etant donné que le Premier ministre israélien quittera prochainement ses fonctions, qu’il ne sait pas qui lui succédera, que les Américains en finissent avec l’administration Bush et qu’il a ses propres problèmes, le moment n’est pas adéquat pour qu’il puisse faire les concessions qu’il doit faire.

LC : A l’heure actuelle, deux candidats du Kadima semblent en tête, Tzipi Livni, ministre des Affaires étrangères, et Shaul Mofaz, ministre des Transports et vice-Premier ministre. Dans quelle direction le processus de paix ira avec les deux ?
CF : Livni participe déjà aux efforts actuels et je pense qu’elle continuerait dans la même voie. Elle serait plus forte politiquement, car elle bénéficie d’un large soutien populaire. En plus, elle a la réputation d’être un leader sérieux et responsable. Je pense que Mofaz se présente pour des raisons politiques comme plus à droite qu’il ne l’est vraiment. Il continuera les efforts actuels, mais je ne sais pas s’il aura la même flexibilité que Livni.
Dans les prochaines élections générales, si Netanyahu arrive au pouvoir, c’est le début d’une nouvelle manche.

LC : Une des grandes préoccupations vue de l’étranger concerne les colonies (settlements). Régulièrement, de nouvelles constructions sont annoncées. Est-il exagéré d’insister sur ce point ou est-il pertinent de penser que cela affecte le processus de paix ?
CF : Je pense qu’il est temps pour tout le monde d’en finir avec la question des colonies (settlements). Si Olmert parle de 93% de la Cisjordanie, celles qui en font partie vont être démantelées. Il n’y a rien de négatif sur le fait qu’Israël conserve quelques pourcents de la Cisjordanie. La longueur d’Israël est de 15km dans ses zones les plus étroites. Il y a des gens qui font ce jogging tous les matins pour s’amuser. Si Israël peut garder 7% de la Cisjordanie, elle conserverait à peu près 70% des colons (settlers). Si les Palestiniens obtiennent 93% de la Cisjordanie et une compensation territoriale du côté de la bande de Gaza, cela semble une offre tout à fait honnête.

LC : Du côté palestinien, où en est-on avec le Hamas à Gaza et les élections présidentielles prévues pour janvier ?
CF : Il semble que désormais ils essaient d’éviter la tenue d’élections, en disant par exemple que Gaza est « une zone en état de rébellion » et qu’ils ne peuvent donc pas tenir d’élections maintenant. C’est une possibilité. Si les Palestiniens ne parviennent pas à repousser les élections, il y a deux possibilités. La première est qu’Abu Mazen se présente et il perdra probablement. L’autre est qu’il ne se présentera pas, c’est ce qu’il a dit il y a à peu près un an, dans quel cas les chances que le Hamas l’emporte sont très grandes.

LC : Y a-t-il une tentative d’Israël de redorer le blason d’Abu Mazen ? On a vu par exemple la libération de centaines de prisonniers palestiniens.
CF : Oui, ça en fait partie, mais c’est une petite étape qui ne changera rien. Cela contribue à l’ambiance actuelle. Ce qui pourrait faire changer les choses serait un accord d’ici aux élections. Selon moi, le processus d’Annapolis était plus une tentative de sauver Abu Mazen qu’une percée vers la paix. Aucune des deux parties n’est en mesure de signer un accord, mais il faut donner quelque chose qu’Abu Mazen peut vendre. L’alternative est terrible. Si le Hamas remporte la présidence et de fait devient l’acteur principal également en Cisjordanie, nous pouvons dire au revoir au processus de paix pour de nombreuses années.

LC : Vous venez de publier un article dans The American Interest pour présenter une proposition de résolution de la question des réfugiés. Pouvez-vous expliquer en quoi elle consiste et pourquoi vous estimez qu’elle pourrait contribuer au processus de paix ?

CF : Je préfère être franc, je ne pense pas que quelqu’un va s’emparer de l’idée et la mettre en place. Je l’ai présenté sous deux angles : en tant que proposition unique et incluse dans un processus plus large.
Pourquoi est-ce que je pense qu’elle n’est pas réaliste ? Du côté israélien, la volonté politique n’est pas présente. Olmert va bientôt partir, c’est une proposition radicale, elle n’est pas viable en tant que proposition unique. Les Palestiniens, en étudiant leur histoire, n’ont jamais dit « oui » à quoi que ce soit, ni en 1936 après la Commission Peel, ni en 1947 sur le Plan de Partition, ni en 2000 après Camp David. Leur approche a été toujours qu’ils veulent 100% ou rien. Dans la proposition, il leur est demandé de prendre une grosse décision, qui aurait d’énormes bénéfices, mais également ses coûts. Il devrait par exemple accepter que le droit du retour se fera dans le prochain Etat palestinien, pas en Israël.
Dans le cadre d’un processus plus large, régler la question des réfugiés au début des négociations plutôt qu’à la fin leur offre de nombreux bénéfices et une marge pour conclure un accord final tout en le mettant en pratique sans terrorisme et autres formes de violence. Aujourd’hui, il est clair que même si un accord était signé, il ne pourrait pas être appliqué, car Abu Mazen n’a pas d’autorité sur Gaza et il ne peut en réalité pas non plus parler au nom de la Cisjordanie. L’idée serait de lui donner une carotte pour son opinion publique.

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