lundi 25 juillet 2011

L'Egypte et la grande muette



La transition vers la démocratie est un exercice difficile, l'Egypte en est le cas d'étude parfait. Nettoyer le système de toutes ses impuretés est un labeur long et difficile !

Reprenons brièvement les événements depuis la chute d'Hosni Moubarak. Beaucoup écrivaient que c'était la fin d'un régime. A tort ! Un régime ne tombe pas quand un homme tombe ; un régime est un système ! Le Conseil suprême des forces armées (CSFA) prenait les rênes du pays en annonçant à tout entendeur que les militaires n'avaient aucune intention de prendre les commandes du pays et que leur objectif était de faciliter la transition démocratique. Intention louable et au départ suivi de fait : consultations avec les différents groupes d'opposition et avec les jeunes leaders de la révolution. Plus de liberté de la presse, plus de liberté d'organisation, d'association etc. Bref à bien des niveaux, la société égyptienne se dirigeait vers plus de démocratie.

Le 19 mars se tenait un référendum sur l'amendement de dix articles de la constitution. De premières divisions apparaissaient. D'un côté, les nouveaux partis et leaders libéraux se mobilisaient contre ce référendum. Pour eux, ce référendum n'allait pas assez loin. De l'autre, la vaste majorité de la population soutenait cet effort et le référendum est passé à une très large majorité. La démocratie en marche pensait-on, mais le CSFA a soulevé quelques inquiétudes en amendant davantage la constitution sans consultation populaire.

Incapables de trouver un juste équilibre entre transition démocratique et maintien de l'ordre, les forces armées ont progressivement refermé les valves. La liberté d'expression trouvait sa limite : la critique féroce des forces armées. Un bloggeur en fera les frais. La liberté d'association trouvait sa limite : le trouble à l'ordre public. Les arrestations et les actes de torture (re)devenaient monnaie courante. L'interaction avec la population devenait de plus en plus limitée : quelques communiqués sur Facebook.

Alors a commencé une dynamique qui va s'avérer problématique. Le seul moyen pour la population de se faire entendre était de manifester, mais ce moyen était de moins en moins toléré par les militaires. De fait, le CSFA est passé d'organe respecté à "relique de l'ancien régime". Le CSFA est devenu réactif, prenant des décisions unilatéralement et les adaptant au gré de la mobilisation populaire. Le sentiment dominant était que les actions du CSFA n'étaient pas bonnes.


Toutefois, ce sentiment a pris un nouveau tournant. Deux semaines de sit-in place Tahrir, de nombreuses manifestations et des attentes déçues sont venues alimenter le désappointement de la frange militante de la population. La rupture est intervenue le week-end dernier lorsqu'une nouvelle manifestation a été le sujet de violentes répressions par des baltaguiya, à coups d'épées, de couteaux et de pierres. Probablement des bandits payés par le régime ; les militaires ne sont pas intervenus. Désormais, c'est le CSFA, comme entité, qui est directement critiqué.

Aujourd'hui, la situation est très confuse. Les élections sont repoussées. Un comité de supervision annoncera les dates le 18 septembre prochain. A priori, les élections parlementaires devraient se tenir en novembre. Est-ce une bonne nouvelle ? Oui et non. Ca l'est certainement du point de vue de l'opposition politique qui pourra mieux se préparer. Deux mois, ce n'est pas rien, mais si peu a été fait pour le moment. Non, car dans le climat actuel, la tenue d'élections est prématurée. Une des raisons pour lesquelles la campagne a à peine commencé est justement le fait que rien n'est stabilisé. L'insécurité est grandissante, la corruption est encore monnaie courante, les acteurs du régime n'ont pas été très fragilisés et sont donc en pleine possession de leurs moyens pour défendre leurs intérêts coûte que coûte (au niveau local et national). La scène politique est bourgeonnante mais il est difficile d'identifier qui est qui, qui va rester, qui va s'unir avec qui, qui défend quoi et comment cela diffère d'un autre parti dans la même lignée. Il est certain que les élections vont rationaliser le champ politique, mais pour le moment il est difficilement lisible et surtout il est complètement occulté tant les manifestations sont encore fortes et tant le CSFA contrôle la transition.

Au niveau politique donc, les forces armées vont faire de moins en moins de concessions. Ils ne veulent pas compromettre leurs avantages politiques et économiques. Il est certain que les prochains dirigeants égyptiens devront composer avec les forces armées. Il est peu probable que le budget militaire soit divulgué. Il est également peu envisageable que l'on assiste à un contrôle civil des militaires. Les officiers voudront également maintenir leurs intérêts économiques que l'on estime représenter jusqu'à 20% de l'économie nationale.

Paradoxalement, leurs alliés de circonstance sont les Frères musulmans qui ne voient pas d'un si bon œil un changement complet de régime. Un sondage au mois de juin indiquait que les FM n'étaient pas si populaires dans l'Egypte post-Moubarak, phénomène peu surprenant, car la scène est plus ouverte. Les Ikhwan n'ont pris part qu'à une partie des manifestations, restent soudés autour d'une base conservatrice et ne permettent pas la contradiction, ce qui a donné lieu à plusieurs évictions et défections. Peu importe, le pouvoir de mobilisation des FM reste fort. Plus important, ils sont peu enclins à trop embrasser les revendications les plus radicales des libéraux, car elles desserviraient leurs intérêts. Que faire toutefois de l'annonce fin juin d'une alliance de partis, dont le PLJ des FM, les partis Wafd et Tagammu pour les élections parlementaires ? L'annoncer est une chose, tenir une plate-forme commune entre des partis qui s'accordent sur si peu de points jusqu'aux élections en est une autre.

Pourtant, les bénéfices démocratiques s'installent au sein de la population. La liberté de la presse est bien présente - même si le nouveau gouvernement a déçu en annonçant un nouveau ministre de l'Information. Jamais le pays n'a connu autant de manifestations à tous les niveaux. Les élections au niveau universitaire et syndical sont encore plus démocratiques qu'avant. Toutefois, comment traduire ces petites avancées à un niveau national et politique ? En d'autres termes, comment éviter que la société civile vibrante en ce moment ne se perdent dans le méandre des manifestations ? Comment s'assurer que la transition démocratique pourra bien se concrétiser ?

Il n'y a pas de recette miracle. Il faut que les partis politiques soient plus actifs et moins refermés sur les guerres d'influence et de positionnement politique. La mobilisation va continuer et les demandes sont claires, mais elles ne sont pas toutes de la même importance. Juger Moubarak par exemple ne doit pas être une priorité. On risquerait de tomber dans un procès-mascarade comme en Tunisie. Cela ne fait pas avancer le débat démocratique, bien au contraire, cette demande accapare l'attention et empêche d'avancer. Mi-juillet, le CSFA a consulté des partis d'opposition pour former un comité en vue de présenter des amendements constitutionnels. Un tel travail ne pourra être mené à bien dans un tel chaos.

Il est temps d'établir des priorités dans les demandes et de composer avec les acteurs existants. Les élections précéderont la rédaction d'une nouvelle constitution. Tous les efforts doivent donc être portés dans un premier temps sur la bonne tenue d'élections dans des conditions satisfaisantes, dégagées des procédures que l'Egypte a précédemment connues et donc de se focaliser sur le débat politique. C'est le seul moyen pour s'assurer que les acteurs soient écoutés et puissent formuler des programmes clairs et compréhensibles. Si l'on continue dans un bras de fer de la rue contre les forces armées, la situation n'avancera pas. A ce jeu, les manifestants perdront, mais à plus grande échelle, l'Egypte perdra.

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