vendredi 4 mars 2011

Les premiers indicateurs de l'Egypte post-Moubarak : un nouveau Premier ministre et des amendements constitutionnels



Le chemin est encore long avant de changer de régime en Egypte, mais les premiers pas sont importants : un nouveau Premier ministre et des amendements importants dans la Constitution.

En raison des pressions de plus en plus fortes pour sa démission, Ahmed Shariq s'est exécuté et a présenté sa lettre de démission au Conseil suprême des forces armées. Le groupe des jeunes révolutionnaires avait rencontré peu auparavant les officiers supérieurs pour suggérer des remplaçants à Shariq et Essam Sharaf a été retenu. Al Ahram dresse son portrait. Il possède un doctorat en ingénierie du transport de l'université de Purdue aux Etats-Unis. Il a enseigné notamment à l'université du Caire et a travaillé comme consultant aux Emirats Arabes Unis avant d'être nommé ministre des Transports en 2004. Poste qu'il quitta en 2006 ne pouvant plus supporter la corruption qui régnait et l'inertie du gouvernement. Il est retourné à l'université du Caire. Devenu opposant à Moubarak, il a mené plusieurs manifestations lors des révoltes du mois passé, ce qui lui a valu d'être très apprécié de la jeunesse. Contrairement à d'autres figures de proue, Sharaf fait presque figure de jeune, il n'est âgé que de 59 ans.

Cette nomination est importante à plusieurs égards. Tout d'abord, le fait que Sharaf soit nommé est le résultat de tractations entre les militaires et le groupe des jeunes révolutionnaires, qui semble être de plus en plus instrumental dans l'après-Moubarak. Ensuite, c'est la première fois depuis le coup d'Etat des officiers libres de 1952 qu'un membre de l'opposition - ou du moins non-affilié au régime - se retrouve nommé à ce poste.
En phase de transition, son rôle sera toutefois assez limité, mais cette position qui va devenir très médiatique peut lui permettre de renforcer sa position comme dirigeant égyptien en vue des élections.

Des élections dont la date reste encore inconnue, mais qui pourraient intervenir dès le mois de juin. Ces élections parlementaires seraient suivies par l'élection présidentielle durant l'été. Autant dire un calendrier extrêmement restreint pour créer des partis politiques, des réseaux, faire campagne et instaurer une ère de changement.

Surtout, les amendements proposés n'affectent pas le processus électoral, ce qui serait problématique pour le scrutin de juin. Le conseil des forces armées peut néanmoins édicter un décret pour changer le système, mais il devrait alors agir diligemment, ce qui de toute manière laisserait peu de temps pour les partis de prendre forme.


Michele Dunne et Nathan Brown de la Carnegie détaillent les propositions d'amendement. Finalement, neuf amendements seront soumis à référendum. Certains étaient attendus, d'autres pas. L'Article 5 de la constitution sur le caractère religieux des partis reste intact. Les Frères musulmans ont indiqué qu'ils ne créeraient pas de parti tant que les règles n'étaient pas modifiés. Cela ne les a pas empêchés d'établir les fondations d'un parti, pour le moment appelé le Parti de la Liberté et de la Justice.

Les articles amendés seraient :

* Article 75 : le Président ne doit pas avoir de double nationalité, ni être marié à une étrangère. Cet amendement est une surprise et personne ne sait trop quoi en faire. Est-ce pour empêcher Mohamed ElBaradei de se présenter ; la rumeur (infondée) voulant que sa femme soit iranienne ?

* Article 76 : l'amendement facilite l'accès au scrutin. Trois possibilités seraient mises en place : être soutenu par 30 membres de l'Assemblée du Peuple ou du conseil de la Choura, recevoir 30000 signatures (elles doivent venir d'au moins quinze provinces différentes - l'Egypte en compte 29 - avec au moins 1000 signatures par province), ou faire partie d'un parti politique qui possède au moins un siège dans une des deux chambres. Cet amendement indique implicitement que les élections parlementaires doivent se tenir avant les élections présidentielles.

Par ailleurs, une commission de juges supervisera les élections. Dunne et Brown soulignent que ce procédé est assez peu commun ; beaucoup de pays préférant une commission électorale indépendante. Néanmoins, l'Egypte a de mauvaises expériences avec ce type de commission. Il n'en reste pas moins que les juges ne sont pas entraînés à remplir ce type de fonction, surtout que leur autorité sera absolue et finale, et on s'appuie sur le prélat de l'indépendance des juges - qui il est vrai ont été souvent critiques à l'égard d'Hosni Moubarak. L'amendement appelle également à une étude des conditions de l'élection présidentielle par le Cour constitutionnelle suprême pour en vérifier la validité.

* Article 77 : Le Président serait élu pour quatre ans avec une limite de deux mandats, comme aux Etats-Unis.

* Article 88 : Une commission de juges superviserait toutes les élections et les référendums. Leur autorité serait totale et inaliénable. Dunne et Brown estiment qu'une telle tache forcera les scrutins à se dérouler en plusieurs temps, car il n'y a pas suffisamment de juges pour mener à bien cette mission en une journée. Par ailleurs, ils auront besoin d'entraînement.

* Article 93 : Il en reviendra à la Cour constitutionnelle suprême de régler les différends électoraux pour le scrutin parlementaire. Auparavant, la Cour de cassation faisait part de son avis et le Parlement se prononçait en dernier ressort. Cette garantie de la séparation des pouvoirs était également source de nombreux conflits, car un élu pouvait être confirmé à son poste bien que la Cour ait estimé son élection invalide. Le nouveau système est-il plus viable ? Seule l'expérience pourra nous le dire.

* Article 139 : le Président devra nommer un vice-Président dans les 60 jours suivant son élection.

* Article 148 : Les conditions d'établissement de l'état d'urgence seront renforcées obligeant un recours devant le Parlement dans les sept jours. Egalement, une telle décision ne peut s'étendre au-delà de six mois ; seul un référendum peut en donner l'autorisation. Cet amendement sera important, car le pays est en état d'urgence depuis 1939 avec quelques périodes d'intermittence. Néanmoins, on ne sait pas en quoi cela affectera l'état d'urgence actuel, et on peut imaginer des scénarios où l'état d'urgence serait constamment renouvelé tous les six jours ou, dans le cas d'une guerre par exemple, tenir un référendum serait impossible.

* Article 179 : Il sera aboli. Il avait à trait aux mesures extraordinaires qui pouvaient être prises en cas de terrorisme, telles que la levée du respect des droits de l'homme.

* Article 189 : Le Président - avec l'approbation du Cabinet - ou au moins la moitié des deux chambres parlementaires pourront demander une nouvelle constitution. Un comité de 100 membres serait alors choisi par une majorité des membres des deux chambres réunies en congrès. Il aurait six mois pour rédiger une nouvelle constitution. En fonction des résultats des élections parlementaires, on peut s'attendre à des décisions allant dans le sens d'une nouvelle constitution.

Un référendum se tiendra dans les prochaines semaines pour entériner les amendements. De toute évidence, ces amendements sont un premier ballon d'essai. Ils n'affectent pas les pouvoirs du Président qui restent pharaoniques...

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