lundi 18 octobre 2010

La guerre : ne serait-on pas suffisamment holistique ?

Dans une étude publiée par le Strategic Studies Institute, Antulio J. Echevarria II décortique le "paradoxe de préparation" (preparation paradox) et en analyse ses faiblesses. Ce paradoxe est ici appliqué aux Etats-Unis. Il consiste à affirmer que la supériorité conventionnelle américaine invite ses ennemis à favoriser une approche de guerre irrégulière. L'argument se fonde sur l'idée que la préparation actuelle à un type de conflits est source de vulnérabilités.

Echevarria est d'avis que ce paradoxe part de deux suppositions erronées. La première est que les adversaires américains peuvent être rassemblés au sein d'un seul groupe identifiable, ce qui est faux. La seconde est que les adversaires des Etats-Unis peuvent s'adapter et se transformer plus facilement. Ainsi identifie-t-il deux types d'adversaires : les acteurs armés non-étatiques (insurgés, groupes terroristes etc.) et les Etats. Dans cette logique, il apparaît évident que nous n'avons pas à faire à des adversaires de même catégorie, de même force ni de même envergure. Leurs approches du combat sont différentes et leurs moyens encore plus.

Dans un second temps, il indique que réformer l'approche du combat est tout aussi complexe pour les adversaires des Américains. En effet, dans le cas des AANE, il explique que des traditions et considérations culturelles, politiques ou idéologiques empêchent une transformation radicale. Un AANE aura beaucoup de mal à adopter des moyens conventionnels. Cela est confirmé par des cas historiques, l'auteur analysant Al Qa'ida. Ce dernier n'a pas changé sa méthode - ce que l'auteur appelle le type "guérilla-terroriste" - mais a effectué quelques ajustements au sein de celle-ci. Il s'appuie sur des considérations historiques, mais justifie également par une réelle fragmentation entre les groupes jihadistes. Pour Echevarria, cette fragmentation au sein du mouvement jihadiste à l'échelle internationale empêche un commandement centralisé et par conséquent une approche commune qui pourrait permettre une réforme radicale si besoin était.

S'appuyant sur l'expansion de l'usage aux IEDs dans les conflits au Moyen Orient et ce que certains le "réseau cyclique de partage", c'est-à-dire la transmission de techniques d'un groupe ou pays à un autre, il indique que la tendance du recours aux techniques de guerre irrégulière n'est pas un phénomène nouveau dans la région et aucun indice ne nous invite à penser que cela est prêt de changer. L'auteur prend le cas des IEDs pour montrer que les adversaires des Etats-Unis ont plus intérêt, suivant un rapport coût-efficacité, à persévérer dans une voie plutôt qu'à fondamentalement en changer.

Il en va de même pour les pays. Un changement radical est complexe, car un Etat se fonde sur des traditions stratégiques qui obvient le changement. Une rupture stratégique, en d'autres termes, est rendue difficile tant par des approches politiques que culturelles. En outre, comme l'indique l'auteur, certains pays, comme la Chine, ne peuvent pas se focaliser sur l'idée de prendre à revers les Etats-Unis, car ils doivent également prendre en considération l'Inde, la Russie et le Japon.

La conclusion de l'étude peut paraître évidente et sans surprise, mais elle n'en est pas moins importante. Ainsi, en théorie, le principe de "paradoxe de préparation" est-il erroné, car il ne faut pas approcher les deux bouts du spectre - la guerre conventionnelle d'un côté et son pendant irrégulier de l'autre - de manière séparée. Au contraire, il faut les prendre comme des priorités différentes appartenant toutes deux à la guerre dans son ensemble.

En d'autres termes, Echevarria critique l'incapacité à appréhender le concept de guerre dans son ensemble et donc de créer un paradoxe qui n'en est pas un. Pour lui, le fait que des insurrections naissent lorsqu'un belligérant envahit un pays est la norme plutôt que l'exception. Cela fait partie du concept de guerre. Ainsi considère-t-il que les lacunes des préparations pour l'Iraq et l'Afghanistan résultent dans le fait de s'être préparé pour des batailles plutôt que pour la guerre.

Son analyse est d'autant plus pertinente que les guerres ne se déroulent plus en rase campagne, que la tendance à une armée victorieuse de rester dans un pays - que ce soit pour en prendre possession ou pour le stabiliser et le reconstruire - est aujourd'hui, si ce n'était pas déjà le cas depuis longtemps, une évidence qu'on ne peut nier.

Toutefois, se préparer à une insurrection et se préparer contre des groupes terroristes appelle à appréhender les phénomènes de manière différente. Une insurrection intervient après l'invasion d'un pays, alors que le terrorisme frappe n'importe où et n'importe quand - faire la guerre contre le terrorisme est en plus une notion sujette à débats. En outre, Echevarria pêche par une approche trop holistique. Il prend la guerre comme un phénomène global dont tous les aspects peuvent être compris au travers d'un même prisme. C'est faux. Les raisons d'une guerre, les considérations politiques et d'autres facteurs influent sur les types de guerre qu'un pays est prêt à mener. Partir en guerre par nécessité plutôt que par choix est une exception. Pour finir, je suis d'accord avec lui sur le fait qu'il faille trouver un équilibre entre les deux types de guerre, que ce soit parce que l'un n'annule par la possibilité d'avoir besoin de lutter contre l'autre et en plus, parce que certains conflits peuvent demander de maîtriser les deux. Toutefois, il faut bien être conscient que les moyens nécessaires pour mener à bien une guerre conventionnelle, notamment au niveau technologique, matériel et humain, sont différents de ceux dont un Etat a besoin pour affronter un adversaire irrégulier.

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