Les manifestations en Egypte se poursuivent. Parmi la foultitude de questions que l'on peut se poser, une est importante : où sont les Frères musulmans ? En effet, les Ikhwan sont l'opposition la plus disciplinée et celle qui est le plus capable de mobiliser des partisans. Pourtant, ils sont restés étrangement discrets. Trois raisons sont envisageables, qui ne sont d'ailleurs pas exclusives.
Tout d'abord, je rejoins Michael Collins Dunn sur le fait que les révoltes sont séculaires et menées par la jeunesse. C'est un phénomène que l'on avait déjà pu observer en Tunisie. Une différence est toutefois importante. En Tunisie, les islamistes sont bien moins influents qu'en Egypte. Les Frères musulmans ont un pouvoir certain et un réseau social extrêmement développé. La société égyptienne est en outre beaucoup plus religieuse qu'en Tunisie ; au Caire, on a vu les manifestants s'arrêter de protester pour prier. Très clairement, c'est un choix délibéré de la part des Frères de ne pas trop s'impliquer. Il est envisageable qu'ils aient estimé que leur participation ferait du tort aux manifestations. En effet, l'absence d'islamistes dans la révolte tunisienne a été remarquée. Cette hypothèse prend encore plus de poids, lorsque l'on sait que le régime égyptien diabolise les Frères musulmans et les islamistes en général.
La deuxième hypothèse est que les Frères musulmans ont préféré ne pas participer pour ne pas être la cible privilégiée des forces de sécurité. Une fois encore, le gouvernement les réprouve tellement et ils sont soumis à une telle (ré)pression de sa part qu'ils ont peut-être préféré ne pas faire d'appel. Ils n'ont pas découragé leurs sympathisants, mais l'establishment des Frères ne sait pas positionner. Cela n'était pas du goût de tous, surtout des jeunes membres.
La troisième hypothèse découle des deux premières. Leur participation directe a jusqu'à présent été marginale et il n'est pas certain qu'ils aient un rôle à jouer. Les manifestations se durcissent et ne s'interrompent pas, au contraire, elles semblent se multiplier. Aucun parti ni mouvement ne peut se réclamer à la tête de ses mobilisations et on peut même affirmer que tous les partis se sont très discrets pour activement prendre le devant de la scène. Il faut bien voir que ces révoltes ne sont pas politisées, elles relèvent d'un sentiment au sein de la population. Les partis politiques légaux n'ont pas forcément intérêt à voir un changement de régime. S'ils le désapprouvent tièdement, ils font partie du système et en profitent. Les Frères musulmans, tolérés mais pas comme parti politique, sont, eux, dans une décision délicate. Ils ont été, comme beaucoup, pris par surprise par l'ampleur des manifestations et les manifestants ne sont pas forcément réceptifs à leurs messages et surtout à l'idée que les FM font partie de la solution. Jouer un rôle pour les Ikhwan est donc devenu difficile.
Les récentes sorties des Frères musulmans traduisent l'inconfort du mouvement qui ne sait guère comment se positionner. Ils sont bien conscients qu'ils ne peuvent être leaders, car c'est trop tard et que leur plate-forme n'est pas suffisamment englobante pour que leurs appels soient entendus par toute la société. Ce sentiment se traduit dans un entretien de leur porte-parole Mohamed Morsi à Al Masry al Youm. Ils ont répondu à l'appel de manifestations massives demain après-midi, vendredi, après la prière, mais ne se présentent que comme une composante en soutien. Il est encore plus frappant de lire le communiqué de presse des Ikhwan sur leur site Internet. La composante islamique du groupe est à peine mentionnée. Néanmoins, ils savent qu'ils doivent s'impliquer dans ce mouvement, car cela ne jouerait qu'en leur défaveur de ne pas s'impliquer officiellement si des changements substantiels venaient à survenir au niveau du régime.
Il est donc probable que les Frères musulmans maintiennent une posture assez attentiste, soutenant les manifestations, offrant leur capacité de mobilisation, sans pour autant essayer d'islamiser les révoltes. Cette stratégie leur permettrait ainsi de s'assurer une place à la table des négociations tout d'abord au sein de l'opposition, mais à plus haut échelon après, si Moubarak tombe ou accepte de profonds changements politiques. En outre, les FM ne seraient pas une cible particulière des forces de l'ordre et une fois que le temps des négociations arrivera, ils pourront jouer de leur organisation et de leur force politique pour avancer leurs pions.
jeudi 27 janvier 2011
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