samedi 9 janvier 2010

Réflexions sur le multilatéralisme

Je sors un peu du contexte purement moyen-oriental pour ce post pour parler d'une problématique essentielle. Richard Haass, président du Council on Foreign Relations, a publié une tribune dans le Financial Times pour relayer un concept qui mérite notre attention : le "messy multilateralism". Il est difficile de trouver une traduction qui retranscrive l'authenticité de l'idée proposée.

Pour lui, le multilatéralisme classique, en d'autres termes, celui qui a dominé les RI depuis la fin de la 2e guerre mondiale, est dépassé dans un monde de plus en plus complexe et où trouver une entente pour la signature d'un accord formel à plusieurs dizaines de pays est devenu remarquablement rare. Ainsi élabore-t-il le "messy mulilateralism" qui est une combinaison de trois formes de multilatéralisme :
* le régionalisme : cela peut se traduire par des ententes ad hoc ou des institutions.
* le multilatéralisme fonctionnel : c'est ce qu'on appelle également coalitions of the willing.
* le multilatéralisme informel : cela signifie qu'il n'y a pas d'accord qui demande une ratification, mais la création de mesures correspondant à des normes internationales que les Etats respectent - il reprend le milieu bancaire comme exemple.

Ce n'est pas idéal, explique-t-il, car chaque forme couve d'importants défauts, mais cette combinaison peut venir compléter le multilatéralisme classique.

Sa tribune m'a fait relire quelques autres papiers qui traitent de cette question du multilatéralisme et notamment le fait que sa nécessité s'accroît cependant que son efficacité décroît. Les auteurs appelant à une réforme des organisations internationales sont très nombreux, mais il est plutôt question ici du multilatéralisme, ne nécessitant pas forcément l'existence d'institutions structurées.

Moises Naim, rédacteur en chef de Foreign Policy, écrivait dans sa revue l'été dernier, qu'une alternative au mammouth du multilatéralisme serait le "minilatéralisme". L'idée n'est pas neuve, mais Naim va plus loin en avançant le terme du "nombre magique du minilatéralisme". Son idée est de réunir le minimum de pays nécessaires pour générer l'impact le plus notable dans la résolution d'un problème. En d'autres termes, de trouver le nombre magique. Il prend l'exemple du G20 pour le commerce. A ses yeux, c'est le seul moyen de voir se concrétiser au niveau international. Il explique que ce type d'accord peut servir de fondement pour des accords plus inclusifs. Tout comme Haass, Naim est conscient que ce n'est pas une solution idéale, mais que c'est bien mieux en comparaison de ce qui prévaut à l'heure actuelle.

Francis Fukuyama dans America at the Crossroads: Democracy, Power and the Neoconservative Legacy évoque le "multi-multilatéralisme". Dans cet essai où il dénonce les politiques de George W. Bush, il se positionne comme défenseur d'un ordre libéral (au sens politique et donc anglo-saxon du terme). Cette notion suppose un monde "peuplé d'un nombre important d'institutions qui s'enchevêtrent et qui sont parfois internationales". Son argument se trouve dans le fait que l'ONU seule ne peut répondre à tous les défis. De plus, nombre d'institutions sont aujourd'hui bureaucratiquement trop lourdes, mais ce sont celles qui bénéficient de la plus grande légitimité internationale, alors que les institutions moins formelles et plus effectives souffrent d'un manque de légitimité internationale. Pour lui, il faut trouver un juste milieu entre des organisations inflexibles, transparentes, responsables et peuplées d'Etats souverains et des institutions flexibles et rapides, moins transparentes, non-responsables, non-légitimées et comprenant beaucoup, voire uniquement, d'acteurs non-étatiques.

Son idée de créer un ordre international avec des institutions qui s'enchevêtrent et qui peuvent parfois rentrer en compétition peut toutefois être problématique s'il est trop anarchique, dans le sens où il n'y a pas d'autorité supérieure pour contrôler. Sur beaucoup de dossiers, cette situation existe déjà au sein de l'ONU comme le soulignait un rapport en 2006. Si d'autres institutions venaient à en faire de même, ce pourrait devenir tout simplement chaotique.

Thomas Wright, directeur exécutif du Council on Global Affairs à Chicago, a consacré un papier très intéressant sur le multilatéralisme dans Washington Quarterly l'été dernier. Il va à l'encontre du prélat de départ actuel qui veut que toute réforme du système international actuel doit privilégier une meilleur légitimité et représentativité. Guillaume Devin, prof à Sciences Po Paris, parle du "triangle de la fonctionnalité" qui réunit la légitimité des procédures, celle des résultats et la représentativité des instances de décision. Pour Wright, le fait d'ajouter de nouveaux membres aux institutions existantes n'est pas une bonne réponse aux problèmes, car les divergences sont déjà nombreuses entre les membres actuels et en ajouter ne ferait que coaguler davantage le système. A contrario, l'idée de coalitions de volontaires ad hoc selon des intérêts du moment court le risque de conduire à des actions unilatérales où une puissance convainc quelques plus petits pays à la suivre - il prend l'exemple de la guerre en Iraq.

Son idée principale est que chaque dossier appelle à des réponses adaptées qui peuvent être gérées de manière bilatérale, régionale, universelle ou par une coalition de volontaires. En accord avec Moises Naim, il estime que certains accords multilatéraux peuvent se construire sur les fondements d'un accord bilatéral entre des puissances majeures.

Ce qui m'étonne dans toutes ces démarches intellectuelles, c'est qu'à l'exception de celle de Fukuyama, elles s'orientent toutes sur une remise en cause fondamentale du précepte sous-jacent du multilatéralisme d'après deuxième Guerre mondiale : son caractère démocratique. L'idée est ici que le multilatéralisme classique étant trop contraignant en raison de ses règles d'unanimité ou de consensus, le rendre plus effectif nécessite de trouver des moyens pour passer outre. Si cela semble effectivement une solution non idéale mais pragmatique, c'est pour autant un cheminement intellectuel que j'ai encore du mal à véritablement accepter.

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